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dimanche 20 juillet 2025 à 05:13

Taxe Zucman

Vers un impôt mondial sur les milliardaires ?



 

Taxe Zucman par-ci, taxe Zucman par-là, à toutes les sauces, à toutes les périodes du jour, sur toutes les chaines, en bien, en mal, en dérision, mais taxe Zucman partout tout le temps. Et vous voici sommé d’avoir un avis, enfin non, d’être pour ou contre, pas d’échappatoire. Mais pour formuler un avis, encore faut-il savoir de quoi l’on parle et connaître un minimum le sujet. Montceau News espère pouvoir fournir quelques explications claires et objectives afin que chacun, chacune, dispose des éléments pour se forger objectivement une opinion.

L’idée d’instaurer une taxe mondiale sur les milliardaires, portée par l’économiste français Gabriel Zucman, s’impose peu à peu dans les débats internationaux. Soutenue par la France lors du G20 de juillet 2024, cette proposition ambitieuse vise à garantir que les ultra-riches contribuent à l’impôt à un niveau minimal, quel que soit leur pays de résidence. Ce mécanisme, qui pourrait bouleverser l’architecture fiscale mondiale, repose sur une simple idée : taxer non pas seulement les revenus, mais le patrimoine net des grandes fortunes, avec un taux plancher de 2 % pour les patrimoines dépassant un milliard de dollars.

L’innovation majeure réside dans le système de « rattrapage » : si un milliardaire est déjà imposé dans son pays à hauteur de 1,5 %, il paierait une surtaxe de 0,5 % afin d’atteindre ce minimum mondial. Cette méthode permettrait de limiter la concurrence fiscale entre États et de réduire l’intérêt de l’exil fiscal ou des montages complexes dans les paradis fiscaux. Selon les estimations de Zucman, la taxe concernerait environ 2 700 milliardaires dans le monde et pourrait rapporter jusqu’à 250 milliards de dollars chaque année, des ressources qui pourraient financer la transition écologique, la lutte contre la pauvreté ou la santé mondiale.

En France, cette idée ravive le débat sur le « patriotisme fiscal » des ultra-riches. Chaque année, plusieurs centaines de contribuables très fortunés quittent le pays, souvent pour des raisons fiscales, avec des destinations privilégiées comme la Suisse, la Belgique, le Royaume-Uni ou Dubaï. Même si ces départs restent marginaux en nombre, ils ont un fort impact symbolique et nourrissent un sentiment d’injustice chez les classes moyennes, qui paient leur part d’impôt sans possibilité de fuir.

À cela s’ajoute une optimisation fiscale massive, souvent légale mais contestée, qui prive l’État d’environ 40 à 60 milliards d’euros par an. En outre, la fraude fiscale illégale représenterait entre 80 et 100 milliards d’euros par an. Un tel manque à gagner dépasse largement le budget de certains ministères clés, comme celui de l’Éducation nationale.

La réforme majeure qui illustre ce problème est la suppression en 2018 de l’impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF), instauré en 1989 pour taxer le patrimoine net global au-dessus de 1,3 million d’euros. Remplacé par l’Impôt sur la Fortune Immobilière (IFI), centré uniquement sur les biens immobiliers, ce changement a allégé la pression fiscale sur les grandes fortunes d’environ 15 milliards d’euros depuis sa mise en place. Cette réforme, défendue par le gouvernement sous le prétexte d’encourager l’investissement productif en France et de limiter les départs fiscaux, a montré ses limites : les exils fiscaux n’ont guère diminué, les investissements en économie réelle n’ont pas augmenté, et les inégalités patrimoniales ont au contraire continué de se creuser.

Cette évolution soulève la question de la théorie du ruissellement, selon laquelle alléger la fiscalité des plus riches favoriserait la croissance économique et profiterait à tous. Pourtant, les faits sont têtus : les fortunes continuent de croître, les dividendes explosent, tandis que les salaires stagnent et que la pauvreté persiste. De nombreux économistes, dont Gabriel Zucman, Thomas Piketty ou Esther Duflo, dénoncent aujourd’hui ce concept comme un mythe dangereux. Ce constat est d’ailleurs partagé par des institutions internationales comme l’OCDE ou le FMI, qui soulignent que la réduction des inégalités et la justice fiscale sont essentielles à une croissance durable.

Réactions contrastées de la classe politique et du monde économique

Le projet de taxe mondiale sur les milliardaires divise profondément la classe politique française. À gauche, les partis comme La France Insoumise, le Parti Socialiste ou Europe Écologie-Les Verts saluent cette initiative comme une avancée cruciale vers plus de justice sociale. Jean-Luc Mélenchon n’hésite pas à réclamer son application immédiate, tandis que plusieurs ONG comme Oxfam appellent à une mobilisation internationale rapide pour mettre fin à l’impunité fiscale des plus riches.

À droite, la réaction est plus prudente, voire hostile. Les Républicains mettent en garde contre une mesure qui pourrait « punir la réussite » et freiner la compétitivité économique. Le Medef, représentant du patronat français, exprime ses réserves en soulignant les risques d’un alourdissement fiscal susceptible de dissuader l’investissement et la création d’emplois. Certains économistes libéraux, relayés notamment par des think tanks comme le Milton Friedman Institute, voient dans cette taxe un frein à l’innovation et à la liberté d’entreprendre.

Le gouvernement français adopte une posture équilibrée. Le président Emmanuel Macron soutient l’idée de Gabriel Zucman tout en insistant sur la nécessité d’une coopération internationale étroite pour éviter les distorsions de concurrence. Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, qualifie la proposition d’« intéressante », mais appelle à la prudence, soulignant que seule une coordination au niveau du G20 ou de l’Union européenne permettrait de mettre en œuvre un tel dispositif de façon efficace.

La navette parlementaire : un passage obligé en France

Si la taxe Zucman devait être adoptée en France, elle devrait nécessairement passer par la navette parlementaire, un processus législatif complexe qui implique l’examen successif du texte par l’Assemblée nationale et le Sénat. Ce va-et-vient entre les deux chambres peut s’avérer long et semé d’embûches, notamment dans un contexte politique souvent fragmenté.

Le débat parlementaire serait l’occasion d’une confrontation des points de vue, où chaque groupe politique pourrait amender ou rejeter le texte. Les voix favorables mettraient en avant l’urgence sociale et environnementale, tandis que les opposants dénonceraient un risque d’exil fiscal accru ou une complexification des règles fiscales. Par ailleurs, les discussions incluraient sans doute des ajustements techniques importants, notamment sur les modalités de collecte, la définition précise du patrimoine imposable ou les mécanismes de coordination internationale.

Ce passage par le Parlement français ne sera donc pas un simple formalisme. Il risque d’être l’un des lieux clés où se jouera l’avenir de la taxe Zucman, à la fois pour la France et, symboliquement, pour l’ensemble des pays qui pourraient s’en inspirer.

Un tournant pour la fiscalité mondiale ?

Le rapport Zucman est désormais sur la table du G20 et pourrait inspirer des expérimentations régionales, notamment au sein de l’Union européenne ou du G7, avant une éventuelle adoption plus large. Certains pays envisagent même des initiatives unilatérales, notamment en Amérique latine et en Europe du Nord.

Si la taxe mondiale sur les milliardaires pouvait sembler utopique il y a dix ans, elle incarne aujourd’hui un tournant majeur dans les mentalités. Face à la montée des inégalités et aux limites des systèmes fiscaux nationaux, cette initiative marque une nouvelle ère : celle d’une fiscalité globale, conçue pour garantir plus d’équité et de solidarité à l’échelle planétaire.

Gilles Desnoix

 

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