Le Premier ministre part, vive le 1er ministre nouveau !
Une vieille histoire, deux mille ans de décalage, quand le pouvoir fait la sourde oreille.
À peine le fauteuil de Matignon laissé libre qu’un autre s’y installe. Dans l’hémicycle, c’est un vacarme à 360 degrés : ovations d’un côté, mines fermées de l’autre, et quelques députés préférant se taire plutôt que d’applaudir.
Dehors, dans l’opinion, le sentiment est plus contrasté. Beaucoup pointent un décalage entre les décisions du sommet et la volonté exprimée par les citoyens.
Déjà vu ? Oui, et depuis très longtemps. Montceau News ne commentera pas le choix présidentiel, mais il n’est pas inutile de rappeler que l’histoire regorge d’exemples où le peuple a crié… et où le pouvoir a fait la sourde oreille.
De Rome aux rois : écouter sans entendre
Dans la Rome antique, les plébéiens se retiraient parfois sur la colline de l’Aventin pour faire pression sur les élites. Le Sénat finissait par céder quelques concessions… mais le pouvoir restait solidement entre les mains des aristocrates.
Au Moyen Âge, les rois convoquaient les États généraux, les Cortes espagnoles ou le Parlement anglais. Sur le papier, une consultation populaire. En pratique, surtout un moyen de lever l’impôt : une fois la bourse remplie, on renvoyait le peuple chez lui.
L’absolutisme : le roi et Dieu, contre tous les autres
Sous Louis XIV et ses successeurs, le pouvoir se réclamait « de droit divin ». Le Parlement ? Réduit au silence. Les cahiers de doléances ? Relégués à l’arrière-plan.
En Angleterre, après la décapitation de Charles Iᵉʳ, on aurait pu croire à la victoire du peuple. En réalité, le pouvoir passa vite entre les mains d’une oligarchie parlementaire. Et en 1789, malgré l’espoir immense des cahiers de doléances, les assemblées issues de la Révolution furent elles aussi accusées de confisquer la voix du peuple.
XIXᵉ siècle : le peuple dans la rue, le pouvoir aux fusils
Sous la Restauration et la monarchie de Juillet, le suffrage censitaire n’accordait le droit de vote qu’à une minorité de bourgeois. Les campagnes, les ouvriers, les faubourgs ? Invisibles.
En 1848, la rue explose. Les ouvriers dressent des barricades. Mais les journées de juin sont écrasées dans le sang. Même le suffrage universel masculin n’empêche pas le Second Empire de manipuler le vote à coups de plébiscites soigneusement encadrés.
XXᵉ siècle : entre mutineries, grèves et référendums
Sous la IIIᵉ République, les grèves massives, les mutineries de 1917 ou les mouvements syndicaux se heurtent souvent à une indifférence glaciale des députés. Exception notable : 1936, où le Front populaire traduit enfin dans la loi les attentes de millions de travailleurs.
De Gaulle, en 1958, mise sur le référendum comme lien direct avec le peuple. Mais en 1969, c’est le peuple qui dit « non » et le Général quitte l’Élysée.
Mai 68, ensuite : un souffle d’insurrection, barricades, pavés, slogans rageurs. Le pays tremble, mais peu de réformes structurelles survivent. L’Assemblée suivante, massivement gaulliste, enterre les espoirs.
XXIᵉ siècle : quand le « non » devient « oui »
Tout le monde se souvient du référendum de 2005 : les Français disent non à la Constitution européenne. Deux ans plus tard, le traité de Lisbonne est adopté par voie parlementaire. Une gifle démocratique, encore brûlante dans les mémoires.
Les mobilisations récentes — Gilets jaunes, retraites, conventions citoyennes — n’ont guère plus de succès. Cahiers de doléances, débats, pétitions : rien n’y fait. Les gouvernants passent en force, armés du fameux article 49.3.
Actualité : un écho du passé ?
La nomination d’un nouveau Premier ministre, intervenue à la veille d’un blocage national, illustre une fois de plus cette tension récurrente entre gouvernants et gouvernés.
Le choix d’une personnalité issue du premier cercle présidentiel, plutôt que d’un profil d’ouverture vers d’autres sensibilités politiques, peut être perçu comme un signe de continuité et de cohérence institutionnelle.
Mais pour une partie de l’opinion, ce geste renforce l’impression d’un pouvoir qui se replie sur lui-même, au moment même où une large contestation sociale appelle au dialogue. Autrement dit, ce qui est pensé comme un acte de stabilité peut être lu, ailleurs, comme un nouveau symptôme du décalage.
Une constante historique
Depuis deux millénaires, le même scénario se répète : le peuple exprime, vote, manifeste. Le pouvoir écoute… mais souvent d’une seule oreille.
Et chaque fois que ce décalage se creuse, c’est la confiance dans les institutions qui vacille. Hier comme aujourd’hui, la question reste la même : combien de temps encore ce jeu d’équilibre peut-il durer avant que le fossé ne se transforme en abîme ?
D’autant que nommer un Premier ministre issu de son propre camp, et ce à la veille d’un blocage annoncé du pays, peut être perçu par certains non pas comme un geste d’apaisement mais comme une provocation supplémentaire, un signe, là encore, de ce décalage persistant entre gouvernants et gouvernés.
Gilles Desnoix
2 commentaires sur “Le Premier ministre part, vive le 1er ministre nouveau !”
Bravo très bon papier et réaliste
Et tres bonne analyse
Un peu passionné par l’histoire de France , qui ne serait que peut relaté dans les basses écoles . Sauf erreur de ma part, un soulèvement social durement réprimé , conséquence au départ d’un autre brasier , la guerre de 1870 , la commune de Paris , passée sous silence pratiquement , dans sa violence, simple avis.