Autres journaux


jeudi 11 septembre 2025 à 04:41

La 5ème république : 47 gouvernements, un seul vrai patron

En partant de De Gaulle à Macron : quand la Ve République vire à la monarchie républicaine.



 

Le Figaro titre « Emmanuel Macron égale le record du nombre de Premiers ministres sous la Ve République ».

C’est quoi ce record ? Montceau News est allé mettre son nez dans l’historique de la 5ᵉ République. Un bref résumé des gouvernements de la 5ᵉ République et des 1ᵉʳˢ ministres : 47 gouvernements dirigés par 29 1ᵉʳˢ ministres différents.

De Gaulle : 6 gvts et 3 1ᵉʳˢ ministres, Pompidou 4 gvts et 2 1ᵉʳˢ ministres, VGE 4 gvts et 2 1ᵉʳˢ ministres, Mitterrand 10 gvts et 7 1ᵉʳˢ ministres, Chirac 7 gvts et 4 1ᵉʳˢ ministres, Sarkozy 3 gvts  et 1ᵉʳ ministre, Hollande 5 gvts et 3 1ᵉʳˢ ministres, Emmanuel Macron 8 gvts et 7 1ᵉʳˢ ministres.

 

Depuis 1958, la Ve République organise la répartition des pouvoirs entre le Président de la République, le Premier ministre et le Parlement. Sur le papier, la Constitution établit un régime parlementaire « rationalisé », où le Gouvernement conduit la politique de la Nation et est responsable devant l’Assemblée nationale. Dans les faits, l’évolution du système a consacré la prééminence du chef de l’État, créant un décalage entre les textes et la réalité. Cette concentration du pouvoir à l’Élysée soulève des questions sur la nature même du régime et sur les risques pour la démocratie. Analyse des mécanismes, de leur application concrète et des enjeux politiques qui en découlent.

 

La nomination du Premier ministre : liberté présidentielle et contraintes politiques

Le cadre constitutionnel

L’article 8 de la Constitution dispose que « le Président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement.«  Ce pouvoir de nomination est discrétionnaire, mais il s’exerce dans un contexte politique précis.

La pratique : majorité présidentielle ou cohabitation

En période de majorité présidentielle (lorsque le Président dispose d’une majorité à l’Assemblée nationale), il nomme généralement un Premier ministre issu de son camp politique.

En cas de cohabitation (lorsque la majorité parlementaire est opposée au Président), ce dernier doit nommer un Premier ministre issu de la majorité parlementaire, sous peine de voir le Gouvernement renversé par une motion de censure.

Exemple historique : François Mitterrand a dû nommer Jacques Chirac en 1986, puis Jacques Chirac a nommé Lionel Jospin en 1997, illustrant la contrainte politique qui pèse sur le Président en cas de cohabitation.

 

La constitution du Gouvernement : une équipe sous double influence

Le processus constitutionnel

L’article 8, alinéa 2 précise que « sur la proposition du Premier ministre, [le Président] nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions ». En théorie, le Premier ministre propose, le Président dispose.

La réalité : une négociation entre l’Élysée et Matignon

Le Président et le Premier ministre s’accordent sur une « équipe gouvernementale ». La composition doit refléter la majorité à l’Assemblée nationale pour éviter une motion de censure. Les ministres sont responsables devant le Premier ministre, qui coordonne leur action.

En pratique : le président, surtout en période de majorité présidentielle, influence fortement la composition du Gouvernement, réduisant parfois le Premier ministre à un rôle de « collaborateur ».

 

Le programme politique et la responsabilité devant l’Assemblée nationale

Le rôle du Gouvernement selon la Constitution

Article 20 : « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation. »

Article 49 : Mécanisme central de responsabilité :

      • Alinéa 1 : le Premier ministre engage la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou une déclaration de politique générale.
      • Alinéa 2 : L’Assemblée nationale peut voter une motion de censure → si adoptée, le Gouvernement doit démissionner.
      • Alinéa 3 : outil de « passage en force » (49.3) → le Gouvernement peut faire adopter un texte sans vote, sauf si une motion de censure est votée.

À noter : le Sénat ne peut pas renverser le Gouvernement ; seule l’Assemblée nationale a ce pouvoir.

 

La pratique : un gouvernement souvent aligné sur l’Élysée

Depuis l’élection du Président au suffrage universel direct (1962) et la réforme du quinquennat (2000), le chef de l’État fixe l’agenda politique. Les législatives suivant la présidentielle donnent généralement une majorité alignée, réduisant le risque de censure.

Le Gouvernement applique souvent la ligne présidentielle, surtout en l’absence de cohabitation.

Exemple récent : Élisabeth Borne (2022-2024), nommée par Emmanuel Macron dans un contexte de majorité relative, a eu recours à plusieurs reprises au 49.3 pour faire adopter des lois, illustrant la dépendance du Gouvernement envers l’Élysée.

 

Règles de fonctionnement : qui fait quoi ?

Le Premier ministre (article 21) : dirige l’action du Gouvernement, assure l’exécution des lois, dispose du pouvoir réglementaire et de l’administration. Le Président de la République : joue un rôle clé dans les grandes orientations (politique étrangère, défense, article 15), peut dissoudre l’Assemblée nationale (article 12). Le principe de responsabilité politique : le Gouvernement est responsable devant l’Assemblée nationale, pas devant le Président. Mais… en pratique, la force politique du président détermine l’équilibre réel, d’où le qualificatif de « régime semi-présidentiel ».

 

Entre théorie et réalité : une « dyarchie à géométrie variable »

La lettre de la Constitution : un régime parlementaire rationalisé. Le Gouvernement conduit la politique de la Nation, l’Assemblée nationale peut le renverser. Le Président nomme, mais ne gouverne pas directement.

La pratique : une présidentialisation croissante : hors cohabitation, le Président domine la conduite des affaires, le Premier ministre devient un exécutant, surtout si le Président est populaire et dispose d’une majorité solide. Les constitutionnalistes parlent d’hyperprésidence ou de « monarchie républicaine ».

Cas d’école :

  • Édith Cresson (1991-1992) : nomination personnelle de Mitterrand, sans base parlementaire solide.
  • Jean-Pierre Raffarin (2002-2005) : Premier ministre « accompagnateur » de Chirac.
  • Manuel Valls (2014-2016) : Premier ministre offensif, parfois en concurrence avec Hollande.

 

Les contrepoids institutionnels et jurisprudentiels

Le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État rappellent régulièrement les principes : en 1985, le Conseil constitutionnel a réaffirmé que le Gouvernement est responsable devant l’Assemblée, non devant le Président.Le Conseil d’État a confirmé la compétence réglementaire du Premier ministre (art. 21), tout en reconnaissant les prérogatives présidentielles sur les décrets pris en Conseil des ministres (art. 13).

Limite : ces garde-fous sont moins efficaces lorsque majorité présidentielle et parlementaire coïncident, laissant l’Élysée dominer.

 

La Ve République : régime parlementaire ou monarchie républicaine ?

Un régime parlementaire en théorie : la Constitution de 1958 établit un régime parlementaire rationalisé : le Gouvernement est responsable devant l’Assemblée nationale, qui peut le renverser. Le Président, bien que puissant, n’est pas censé gouverner directement.

Une monarchie républicaine en pratique ? La concentration du pouvoir à l’Élysée, surtout depuis l’élection du Président au suffrage universel direct, a transformé le régime. Le Premier ministre, en l’absence de cohabitation, est souvent réduit à un rôle d’exécutant. Le recours fréquent au 49.3, la dissolution de l’Assemblée, la personnalisation du pouvoir, tous ces éléments rappellent les mécanismes d’une monarchie, où le chef de l’État incarne et décide seul.

Analyse des constitutionnalistes : pour certains, la Ve République est devenue un régime « semiprésidentiel » à dominante présidentielle, pour d’autres, elle est une « monarchie républicaine », où le Président concentre les pouvoirs exécutif, législatif (via le 49.3) et symbolique.

 

Les risques d’une concentration du pouvoir à l’Élysée

Un affaiblissement du Parlement : le Parlement, surtout l’Assemblée nationale, voit son rôle réduit à celui d’une chambre d’enregistrement. Le recours au 49.3, qui permet d’adopter des lois sans vote, limite le débat démocratique.La dissolution, utilisée comme menace ou comme outil politique, fragilise la représentation nationale.

Un déséquilibre des pouvoirs : la séparation des pouvoirs, principe fondamental de la démocratie, est mise à mal. Le Président, en concentrant les pouvoirs, peut agir sans contrôle effectif, surtout en l’absence de cohabitation.Le risque est celui d’un pouvoir arbitraire, où les contre-pouvoirs (Parlement, justice, médias) sont affaiblis.

Une personnalisation excessive du pouvoir : le pouvoir se concentre sur une seule personne, ce qui peut mener à des décisions unilatérales, sans concertation. La démocratie représentative est remplacée par une démocratie « plébiscitaire », où le Président s’adresse directement au peuple, court-circuitant les intermédiaires (partis, Parlement). Ce phénomène peut favoriser le populisme et l’instabilité politique.

Un risque pour la stabilité institutionnelle : en cas de crise (sociale, économique, sanitaire), un président tout-puissant peut prendre des décisions contestées, sans légitimité renforcée.L’absence de contre-pouvoirs forts peut mener à des blocages ou à des réformes imposées, source de tensions sociales.

Exemple : les gilets jaunes (2018-2019) ont en partie exprimé un rejet de cette verticalité du pouvoir et de l’éloignement des décisions politiques des citoyens.

 

Il est bon de ne pas se regarder uniquement le nombril, alors qu’en dit-on en dehors de la France ? Voilà pour Montceau News une synthèse des positions de la presse étrangère sur la Vᵉ République française : The Economist (Royaume-Uni) décrit la Ve République comme un « système hybride » avec un président puissant, efficace en période de crise, mais risquant de devenir une « démocratie illibérale » ; The New York Times (États-Unis) compare le système français à une « présidence impériale » et souligne son caractère unique en Europe ; The Guardian (Royaume-Uni) analyse la Ve République comme un système qui a créé une « démocratie de plus en plus verticale » avec un risque de « pouvoir sans contrôle » ; Der Spiegel critique la « personnalisation du pouvoir » en France, opposée au modèle allemand de chancelier responsable ; Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ) décrit la Ve République comme un « système à deux têtes » où le président domine ; El País (Espagne) compare la Ve République au franquisme en termes de concentration du pouvoir exécutif ; La Repubblica (Italie) voit dans la Ve République un « modèle à éviter » pour l’Italie ; Le Soir (Belgique) critique la « verticalité » du pouvoir français ; Neue Zürcher Zeitung (Suisse) décrit la Ve République comme un système où « le Président gouverne comme un roi, mais sans les contre-pouvoirs ».

Chez nos confrères de l’étranger, il existe des points de convergence : un système unique en Europe avec un président puissant, une efficacité reconnue, mais des risques démocratiques, un débat récurrent sur la nature du régime, un modèle peu exportable en raison de sa complexité et de sa centralisation.

 

Cela nous conduit-il vers une réforme des institutions ?

La Ve République, conçue pour éviter l’instabilité gouvernementale, a progressivement glissé vers une concentration du pouvoir à l’Élysée.

La Ve République est-elle encore un régime parlementaire ? Oui, sur le papier, car le Gouvernement est responsable devant l’Assemblée nationale. Non, dans les faits, car le Président domine la vie politique, réduisant le Parlement et le Premier ministre à des rôles secondaires.

Quels sont les risques d’une telle concentration du pouvoir ? Affaiblissement du Parlement et des contre-pouvoirs, déséquilibre institutionnel et risque d’arbitraire, personnalisation excessive du pouvoir, source de populisme et d’instabilité.

Pistes de réforme : limiter le recours au 49.3, renforcer les pouvoirs du Parlement (initiative législative, contrôle du Gouvernement), rééquilibrer les rapports entre Président et Premier ministre, notamment en cas de majorité relative.

Enjeu : trouver un équilibre entre efficacité de l’exécutif et respect des principes démocratiques, pour éviter que la Ve République ne devienne une monarchie républicaine de fait.

 

En fait, il faut se rendre compte d’une évidence : il s’agit d’un système sous surveillance, en France et à l’étranger.

La Ve République, conçue pour éviter l’instabilité gouvernementale, a progressivement glissé vers une concentration du pouvoir à l’Élysée. Si ce système permet une certaine efficacité décisionnelle, il pose des questions sur la nature même du régime et sur les risques pour la démocratie, tant en France qu’aux yeux de la presse internationale.

Quel est le réel enjeu à partir de ce 10 septembre : trouver un équilibre entre efficacité de l’exécutif et respect des principes démocratiques, pour éviter que la Vᵉ République ne devienne une monarchie républicaine de fait, et pour répondre aux critiques, tant internes qu’internationales.

 

Gilles Desnoix

 

Sources : Constitution de la Vᵉ République, jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État, archives de presse française et internationale (The Economist, The New York Times, Der Spiegel, El País, Le Soir, Neue Zürcher Zeitung, etc.), analyses de constitutionnalistes (Dominique Rousseau, Guy Carcassonne, Olivier Duhamel), rapports parlementaires.

 

 

gilles-110925

 



Laisser un commentaire

Vous devez être connecté pour publier un commentaire.


» Se connecter / S'enregistrer