Taxe Zucman : quand l’ultrarichesse fait débat
Décryptage d’un impôt controversé sur les ultrariches
La taxe Zucman, la taxe Zucman, comme un mantra sur toutes les antennes, toutes les chaines, toutes les unes des journaux et magazines. Une antienne lassante qui se débat en ce moment à l’Assemblée. Chacun est sommé de choisir son camp sans même savoir réellement de quoi il s’agit, tant les positions des uns et des autres sont tranchées et de ce fait voilent totalement le fond du sujet.
Il apparaît, ne serait-ce que pour le rédacteur de ce texte, qu’il est nécessaire de faire le point sur la réalité des choses.
Fixons d’abord le contexte historique et parlons de concentration du patrimoine.
La taxe « Zucman » porte le nom de l’économiste Gabriel Zucman, spécialiste des inégalités patrimoniales et de l’optimisation fiscale. Elle répond au constat d’une forte augmentation des très grands patrimoines en France et dans le monde. Certaines grandes fortunes contribuent proportionnellement peu au financement public par rapport à leur richesse réelle.
La proposition cible environ 1 800 foyers détenant plus de 100 millions d’euros de patrimoine.
Dans un contexte de déficits publics et de besoins accrus pour les services publics et la transition écologique, le débat sur la fiscalité des ultrariches ressurgit.
Quels en sont les objectifs fiscaux, sociaux et environnementaux ?
L’objectif fiscal est de renforcer les recettes publiques en faisant davantage contribuer les patrimoines les plus élevés.
Des estimations évoquent un potentiel de 15 à 25 milliards d’euros par an en France.
Sur le plan social, la taxe répond à un sentiment d’injustice fiscale et au principe d’égalité devant l’impôt.
Elle vise à corriger le décalage entre l’imposition des plus modestes et celle des ultrariches.
Certains défendent aussi son usage pour financer des politiques climatiques et la transition écologique.
Quels sont les seuils et populations cibles : 50 M€, 100 M€, 300 M€ ?
Dans les débats autour de la taxe Zucman, différents seuils sont évoqués :
Le seuil qui revient le plus souvent est 100 millions d’euros de patrimoine. Le texte proposé en France visait ce seuil. Certains discours évoquent des seuils plus bas ou plus élevés (par exemple 50 M€ ou 300 M€) pour ajuster la population concernée, mais ces seuils sont davantage hypothétiques ou professionnels du débat que chiffrés de façon définitive dans le texte.
L’idée est que le seuil plus bas (par ex. 50 M€) élargirait la population concernée, donc la recette possible mais aussi le risque d’effets secondaires plus importants. Un seuil plus élevé (300 M€) limiterait l’impôt à une « élite ultrarestreinte », ce qui réduit la base, mais aussi les risques de fuite de capitaux ou d’effets secondaires.
En résumé : la version retenue actuellement est 100 M€, mais les déclinaisons « version basse » ou « version haute » sont bien présentes dans le débat.
Quelle en est la justification morale et politique ?
La justification morale repose sur l’idée que ceux qui ont le plus de patrimoine doivent contribuer davantage au bien collectif. Le principe est celui de la solidarité : les infrastructures, les services publics, la transition écologique, la cohésion nationale sont financés par l’ensemble de la société, et donc ceux qui ont une grande capacité contributive doivent participer.
Politiquement, cela devient un symbole : pour la gauche, la taxe Zucman incarne la lutte contre les inégalités, le « faire payer les plus riches ». Pour certains au centre ou à droite, elle est vue comme une mesure de justice fiscale mais aussi comme potentiellement « dangereuse » pour l’attractivité, l’investissement ou pour l’entreprise.
En outre, dans un contexte de fort mécontentement citoyen vis-à-vis des inégalités, la taxe joue un rôle de signal politique fort : montrer que « quelqu’un fait quelque chose ». Cela a un effet sur le pacte social, la confiance vis-à-vis de l’impôt.
Présentons l’architecture juridique et fiscale
Quelle définition de l’assiette taxable ?
L’assiette taxable de la taxe Zucman, telle que proposée, se fonde sur le patrimoine net du foyer fiscal (actifs moins passifs). Le texte proposé en France évoque une imposition minimale de 2 % sur le patrimoine des ultrariches.
Il est précisé que tous types de biens (immobilier, valeurs mobilières, participations, etc.) doivent être pris en compte, y compris les plus-values latentes ou les biens professionnels dans certains scénarios (ce qui est un des points de tension). Une dimension « plancher d’imposition » est centrale : si le total des impôts payés par un foyer est inférieur à ce pourcentage du patrimoine, il paierait la différence. Cette architecture diffère d’un impôt classique forfaitaire.
Comparaison des 3 scénarios : seuils et population cible,
On peut comparer trois scénarios : Version basse : seuil de 50 M€ de patrimoine. Population cible élargie (des dizaines de milliers de foyers). Recette potentielle plus élevée mais effets secondaires plus complexes (exil fiscal, arbitrages). Version médiane : seuil de 100 M€ (celui le plus cité). En France, ~1 800 foyers concernés dans ce cas. Version haute : seuil de 300 M€ (ou plus). Très petit nombre de foyers concernés, recette plus faible, « symbole » plus limité mais risque d’exil ou d’effets secondaires plus réduits.
La version retenue actuellement est le seuil de 100 M€ avec un taux de 2 %.
Exemples chiffrés : taux et calcul de l’impôt,
Le taux le plus mentionné est 2 % du patrimoine pour les foyers dépassant le seuil (dans l’exemple 100 M€). Exemple chiffré : un foyer dont le patrimoine net est de 150 M€ paierait :
– 2 % × 150 M€ = 3 M€ d’impôt annuel minimal sous cette taxe. Si ce foyer a déjà payé d’autres impôts équivalents à 1,8 % de son patrimoine, il devrait encore payer la différence (0,2 % × 150 M€ = 0,3 M€) pour atteindre les 2 %.
Les estimations suggèrent que cette mesure pourrait rapporter entre 15 et 25 milliards d’euros par an en France selon les hypothèses retenues.
À noter : certains critiques estiment que la recette serait bien inférieure (quelques milliards seulement ou 1,5 Md€) en raison des comportements d’évitement ou d’exil fiscal.
Le rendement de 1,5 Md€ correspond à des versions plus limitées de la taxe, avec un taux plus faible ou une assiette restreinte. Certaines propositions excluent notamment les biens professionnels, ce qui réduit fortement les montants taxables. Le nombre de foyers concernés peut être inférieur aux ~1 800 initialement évoqués, selon les ajustements.
Les comportements d’optimisation ou d’exil fiscal anticipés diminuent le rendement réel attendu.
Des incertitudes d’évaluation et des contraintes juridiques poussent à adopter des paramètres prudents.
Ainsi, les scénarios « réalistes » donnent des recettes bien inférieures aux estimations maximales de 15-25 Md€.
Mécanismes de paiement et aménagements
Le mécanisme proposé est un « impôt-plancher » : tout foyer dépassant un seuil de patrimoine paiera au minimum un pourcentage X de ce patrimoine, si ses impôts habituels sont inférieurs.
Des aménagements sont prévus (prise en compte des dettes, exclusion des biens professionnels, valorisation des actifs non cotés, clause de cinq ans en cas d’expatriation).
Le dispositif impose aux services fiscaux un contrôle renforcé : évaluation des actifs non cotés, suivi des patrimoines internationaux et bases de données fiables.
Prévoit-on des clauses anti-contournement : Exit tax, reporting international, contrôle bénéficiaires ?
Pour limiter les effets de contournement, plusieurs dispositifs sont évoqués :
Une exit tax ou maintien de l’impôt pendant un certain nombre d’années après une expatriation fiscale. Ainsi, un foyer qui part à l’étranger resterait redevable pendant X années.
Le reporting international et l’échange automatique d’informations (pour éviter que les actifs soient placés à l’étranger dans des structures opaques).
Le contrôle des bénéficiaires effectifs (people derrière les holdings, trusts, etc.) pour s’assurer que la structure ne masque pas la vraie assiette. L’objectif est de limiter l’optimisation ou la sous-évaluation des patrimoines grâce à des montages.
Ces mesures rendent la mise en œuvre plus complexe, mais sont jugées nécessaires pour préserver l’efficacité de l’impôt.
Quelle compatibilité constitutionnelle et européenne, jurisprudence Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) ?
Sur le plan constitutionnel en France, plusieurs débats sont ouverts :
Le principe d’égalité devant l’impôt : certains critiques considèrent que taxer des revenus latents (plus-values non réalisées) pourrait poser un problème constitutionnel.
La proportionnalité et l’absence de caractère confiscatoire : un taux de 2 % sur un patrimoine non liqué, ou faisant partie du capital d’une entreprise, pourrait être jugé abusif ou frappé d’inconstitutionnalité.
Au niveau européen, la CJUE a déjà statué sur la taxation des capitaux dans certains cas, et le débat de compatibilité avec la libre circulation des capitaux, l’égalité de traitement entre États membres, etc., reste ouvert. Certains commentateurs estiment que seule une action coordonnée européenne permettrait d’éviter la fuite des capitaux ou la concurrence fiscale.
Quelle coordination avec les autres impôts : IFI, succession, donations ?
La taxe Zucman s’ajouterait aux impôts déjà existants sur le patrimoine. En France :
L’IFI (impôt sur la fortune immobilière) qui remplace l’ancien ISF (impôt sur la fortune) pour les biens immobiliers.
Les droits de succession et de donation, qui s’appliquent lors de transmissions de patrimoine.
Les impôts sur les plus-values mobilières, les revenus du capital, etc.
Il est donc nécessaire de coordonner pour éviter la double imposition ou un effet de surcharge. Par exemple, un foyer très riche pourrait déjà payer l’IFI, l’impôt sur les revenus du capital, et en plus cette taxe plancher. Le débat porte sur l’équité et la lisibilité de la fiscalité.
Certains partisans estiment que la taxe Zucman comble une « faille » laissée par l’IFI/ISF et les autres dispositifs qui ne taxent pas toujours la totalité du patrimoine (ex : biens professionnels parfois exonérés, plus-values latentes non taxées).
Parlons des impacts macroéconomiques.
Nous avons vu ci-dessus ce qu’il en est des recettes attendues. Intéressons-nous à un autre enjeu.
Qu’en est-il de l’élasticité comportementale ?
L’un des enjeux majeurs est l’élasticité comportementale : comment vont réagir les contribuables visés ? Plusieurs effets sont à prévoir :
Le risque d’exil fiscal des très riches ou de leurs capitaux n’est pas nul. Mais contrairement à ce qui est agité à longueur de JT et de débats, le risque d’exil fiscal des très riches en France reste faible, avec seulement 0,2 % des foyers du top 1 % quittant le pays chaque année.
Les départs concernent surtout les revenus financiers mobiles, tandis que les patrimoines liés à des entreprises ou actifs locaux restent majoritairement stables.
Ainsi, le risque existe mais demeure marginal et ne justifie pas une opposition systématique à une taxation plus équitable.
La taxation accrue peut conduire à une réduction des investissements, du recrutement ou à des activités moins risquées.
Les grandes fortunes peuvent aussi modifier la structure de leur patrimoine (endettement, holdings, trusts).
Ces comportements diminuent la recette effective et peuvent générer des effets secondaires économiques.
Quels effets sur l’investissement et l’emploi ?
Les opposants à la taxe argumentent que taxer fortement les patrimoines importants peut freiner l’investissement privé, la création d’entreprises, l’innovation, et donc l’emploi. L’argument : les très grandes fortunes sont souvent aussi investisseuses, créatrices d’emplois ou prêtes à prendre des risques. Si elles anticipent une taxation excessive, elles peuvent déplacer leur capital hors de France ou limiter leur prise de risque.
À l’inverse, les partisans répondent que la taxation de fortunes très élevées ne concerne qu’un nombre limité de foyers, que les montants en jeu sont faibles au regard de l’ensemble de l’économie, et que l’effet incitatif de montrer une fiscalité plus juste peut aussi renforcer la demande intérieure ou les services publics, ce qui à son tour stimule l’économie.
Quels effets redistributifs et sociaux ?
Sur le plan redistributif, la taxe Zucman renforcerait la contribution des ultrafortunes à la solidarité et pourrait être utilisée pour financer des politiques sociales ou environnementales. Elle vise à corriger ce que certains considèrent comme un déséquilibre entre accumulation de patrimoine et contribution fiscale. Cela pourrait renforcer le pacte social, réduire les ressentiments vis-à-vis des inégalités, et favoriser une plus grande cohésion.
Cependant, il faut souligner qu’elle ne remplace pas les politiques de redistribution : par exemple, les transferts sociaux, l’éducation, la santé, etc. L’effet indirect sur les inégalités dépendra de l’utilisation des recettes collectées.
Exposons les critiques et les réponses techniques
Traçons d’abord une cartographie des opposants.
Les opposants à la taxe Zucman comprennent notamment le patronat et certains responsables politiques qui redoutent un frein à l’investissement et à l’attractivité.
Des positions libérales et de centre-droit alertent sur un risque d’exil fiscal des capitaux et des entrepreneurs.
Des économistes et praticiens critiquent la faisabilité : complexité administrative, évaluation des actifs non cotés et potentiels effets négatifs sur l’économie.
Faisons l’analyse des critiques légitimes et performatives.
Critiques légitimes :
La taxation de patrimoines incluant des actifs non liquides ou des plus-values non réalisées pose des risques de distorsion et de contraintes de liquidité.
La forte mobilité des capitaux alimente les craintes d’exil fiscal ou de désinvestissement.
Enfin, certains jugent le rendement potentiel trop modeste au regard des besoins de financement public et de la lutte contre les inégalités. Ce qui n’empêche pas l’instauration de la taxe, qui revêtirait là un caractère essentiellement moral et social.
Critiques performatives ou de posture :
Certains opposants affirment que « tous les riches partiront », alors qu’aucune preuve solide ne le confirme dans ce cas précis. Ils dramatisent les effets économiques négatifs tout en minimisant le potentiel de contribution des très grandes fortunes, souvent sans données rigoureuses.
Leur argumentation assimile toute taxation à une menace systématique pour l’économie, sans distinguer les patrimoines réellement productifs de ceux simplement accumulés.
Le discours évoque une « spoliation » généralisée, comme si les ultrariches étaient victimes d’un système fiscal oppressant.
Cette posture ignore que la plupart des citoyens contribuent proportionnellement bien plus, tout en négociant pour les plus aisés une exception permanente au principe d’égalité devant l’impôt.
Existe-t-il des garde-fous et des recommandations ?
Pour améliorer la faisabilité et la robustesse d’un tel impôt, les recommandations techniques suivantes peuvent être proposées :
Il convient d’exclure ou d’amortir les actifs professionnels pour ne pas pénaliser les entrepreneurs et de valoriser objectivement les actifs non cotés.
Un mécanisme d’étalement de paiement doit être prévu pour les patrimoines peu liquides afin d’éviter la « vente forcée ».
La coopération internationale et le reporting fiscal sont essentiels pour limiter l’évasion et les montages opaques.
Le calibrage du taux et du seuil doit être prudent, avec un test progressif, et les recettes affectées à des finalités claires (transition écologique, services publics).
Enfin, une évaluation régulière de l’impact doit permettre d’ajuster la mesure selon les résultats obtenus.
Au-delà des postures, la taxe Zucman interroge la justice sociale, la solidarité et la responsabilité des ultrariches face aux besoins collectifs.
Gilles Desnoix
Sources : Le Monde.fr, L’Express, La finance pour tous, Le Point.fr, Vert, Le Taurillon, Wikipédia, Euronews, Oxfam France, Forbes, euractiv.com, Reuters,


