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dimanche 23 novembre 2025 à 05:28

Fracture numérique : quand le “tout digital” laisse des Français sur le bord de la route

Inclusion numérique : l’urgence invisible



 

La dématérialisation des services publics, la fermeture progressive des guichets physiques et la généralisation des démarches en ligne ont profondément transformé le quotidien des Français. Déclaration d’impôts, gestion de sa santé, rendez-vous administratifs ou sociaux : presque tout se fait désormais sur Internet. Cette évolution, présentée comme un progrès, révèle une fracture numérique persistante, touchant principalement les personnes âgées, isolées ou en situation de précarité. Une partie de la population se retrouve ainsi empêchée d’accéder à ses droits. Nous-mêmes qui devons sans cesse appuyer sur 1 ou sur 2, ou taper dièse sans jamais avoir d’humains au bout du fil, nous posons une question centrale : qui reste sur le bord de la route et quelles réponses existent pour les accompagner ?

La numérisation reste quand même un progrès, mais c’est une avancée qui exclut certains publics.

De plus en plus, Internet est devenu le point d’entrée quasi exclusif de l’administration. Mais tout le monde ne suit pas. Environ 27 % des plus de 60 ans sont en situation d’exclusion numérique du fait de difficultés motrices, visuelles ou cognitives compliquant ou empêchant l’usage des outils digitaux. Chez les publics précaires, le coût du matériel et des abonnements freine énormément l’accès à Internet et aux services en ligne. Dans les zones rurales, le recul des services publics accroît l’exclusion des personnes isolées. Cela amène une conséquence amère et préjudiciable pour les usagers peu familiers des codes administratifs car dans de très nombreux cas cela entraine un non-recours aux droits du fait de l’absence de compréhension des interfaces numériques.

Pour tous ces publics, la dématérialisation transforme des démarches simples en parcours semé d’obstacles, accentuant le sentiment d’exclusion et d’abandon administratif.

Et ces fameux obstacles quotidiens sont des révélateurs de l’impossibilité de faire une demande de carte grise ou de rendez-vous médical sans Internet ; des difficultés à naviguer dans les interfaces ou à reconnaître les messages frauduleux ; de la peur de faire des erreurs, un sentiment d’incompétence ou un isolement face aux démarches ; d’un manque criant de matériel (ordinateur, imprimante, connexion fiable) ; d’une absence d’accompagnement humain, essentiel pour ceux sans proches disponibles.

Le numérique, loin d’être neutre, peut renforcer les inégalités sociales.

Pour limiter cette fracture, l’État et les associations ont mis en place plusieurs dispositifs tels que les conseillers et aidants numériques. Dans les France Services, les médiathèques et associations, près de 4 000 conseillers numériques ont été déployés.   Tel que l’outil permettant à un professionnel de réaliser une démarche pour un usager, de manière sécurisée : Aidants Connect.

France Services qui supplée à la disparition des services publics de base, qui entend les remplacer dans une forme de guichet unique qui ne disposera jamais de l’ensemble des capacités et compétences des disparus, accueille les publics éloignés du numérique. Dans certaines communes, des camping-cars France Services parcourent les zones rurales pour toucher les habitants isolés.

Il existe des solutions publiques pour aider à surmonter en partie les difficultés. Ce sont des aides matérielles et financières. Aide de 150 à 600 € pour accéder à Internet fixe selon les situations. Aides des CAF pour l’achat de matériel informatique. Pass numérique : financement d’ateliers d’initiation pour seniors ou publics fragiles.

Les associations solidaires comme Emmaüs Connect fournissent du matériel reconditionné, des forfaits mobiles solidaires et des formations aux publics en grande précarité. Il existe aussi des initiatives spécifiques pour seniors : ateliers d’initiation, sécurité numérique, communication avec les proches et e-santé.

Mais, malgré ces efforts, jamais suffisants vu l’ampleur énorme de la tâche, il demeure des obstacles semblant parfois infranchissables. D’abord les inégalités territoriales car nombre de communes ne disposent d’aucune structure. Ensuite des difficultés de mobilité pour accéder aux lieux d’accompagnement, des formations trop standardisées, parfois inadaptées aux besoins cognitifs et physiques des publics vulnérables, une dépendance à des financements temporaires, ce qui menace la pérennité des dispositifs. Et puis c’est aussi des problèmes de disponibilité face à la nécessité de maintenir des alternatives non numériques pour garantir l’accès aux droits. Dans ce dernier cas, on ne peut pas dire que la permanence des services publics soit assurée.

L’accès à Internet et aux compétences numériques doit-il être considéré comme un droit social essentiel, au même titre que la santé ou le logement ? Derrière la fracture numérique se pose cette question fondamentale. Tant que certains publics resteront empêchés d’utiliser les services publics, la promesse d’inclusion numérique restera incomplète. La dématérialisation ne doit pas devenir une barrière.

Garantir l’accompagnement des personnes âgées, isolées ou précaires est un enjeu démocratique, social et profondément humain, conditionnant la qualité du lien entre citoyens et institutions dans un monde toujours plus digitalisé.

 

Une chose peut jouer en la faveur du développement des services dédiés, les efforts que les collectivités entreprennent de plus en plus à la place de l’État ou avec son concours. Une autre peut jouer en sa défaveur. La non-numérisation des moyens d’intervention d’une partie du public et l’obligation de suppléer à cela avec des services dédiés qui coûtent cher vont entrainer une plus grande marginalisation numérique de certains publics.

La fracture numérique n’est pas seulement un problème technique : c’est une fracture démocratique.

Si l’on veut que le progrès reste un progrès, il doit cesser de laisser des citoyens au bord du chemin.

Le numérique doit être une porte qui s’ouvre, jamais un guichet qui se referme.
Dans une société où tout s’accélère, l’inclusion ne peut plus être un supplément : elle doit devenir la règle, le socle et la responsabilité collective qui permettent à chacun d’exercer pleinement ses droits.

 

Gilles Desnoix

 

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