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mardi 18 février 2020 à 06:36

L’égalité d’accès aux soins en dermatologie

  Une situation inquiétante en Bourgogne-Franche-Comté



 



 

Le Guide Santé, dont l’une des missions est de faciliter un accès aux soins pour tous, vient de dévoiler une carte de France interactive qui met en lumière ville par ville la situation très alarmante de l’égalité d’accès aux soins en dermatologie. 

Voir : https://www.le-guide-sante.org/actualites/dermatologues/carte_de_france

 

La situation de la Bourgogne-Franche-Comté est inquiétante, dans l’Yonne, la Nièvre, le Jura et le Territoire de Belfort. Les dermatologues ne prennent plus de patient. Dans chacun des départements, les délais sont supérieurs à la moyenne nationale (95 jours). De plus, nous pouvons constater de nombreuses disparités dans les différentes villes d’un même département. À Besançon, les habitants doivent patienter 83 jours alors qu’à Montbéliard, il faut compter 181 jours.

 

Ce constat est inquiétant car en dermatologie chaque semaine d’attente peut s’avérer dangereuse pour les patients, notamment en cas de mélanome.

 

Dans les grandes métropoles, certains dermatologues acceptent encore de nouveaux patients

 

Paris compte 72 dermatologues acceptant de nouveaux patients (sur un total de 374 dermatologues) avec un délai moyen d’attente raisonnable de 61 jours. A Marseille, 26 dermatologues sur 68 peuvent augmenter leur patientèle, permettant à la ville de s’inscrire dans la moyenne nationale de 95 jours. Lyon enfin recense 14 dermatologues sur 47 prenant de nouveaux patients, ce qui fait grimper les délais pour obtenir un rendez-vous à 128 jours.

 

L’ensemble de ces données statistiques proviennent de l’étude menée entre juin et décembre 2019 par l’équipe du Dr Stéphane Bach.

 

État des lieux de la dermatologie en France

 

Le nombre de maladies de la peau est en augmentation avec 16 millions de  Français (de plus de 15 ans) concernés selon la Société Française de Dermatologie : acné, dermatite atopique et psoriaris étant les trois plus fréquentes pathologies cutanées.

A l’inverse, il est constaté une baisse régulière du nombre de dermatologues avec 3341 dermatologues conventionnés en 2019.

La profession a perdu plus de 10 % de ses effectifs en 10 ans et comptait 3410 dermatologues en activité régulière en 2017.

 

Les raisons de la baisse du nombre de dermatologues

 

La démographie médicale en baisse est régulièrement évoquée et elle peut expliquer le délai moyen d’obtention d’un rendez-vous de 61 jours avec des extrêmes dans les zones ou régions sous-dotées en dermatologues.

 

Mais cela ne semble pas être la seule raison.

La diminution du temps médical disponible des dermatologues serait à l’origine de l’impossibilité de faire face aux besoins actuels des patients dans des zones à densité médicale « normale ».

 

Ce terme de temps médical disponible a été utilisé par le Sénat lors d’un rapport d’information sur l’équilibre concernant la santé en fonction des territoires. Il concerne le temps consacré par le praticien à l’activité de soin, en opposition aux tâches annexes (administratif, gestion).

La diminution du temps médical disponible peut s’expliquer par une diminution du temps de travail global des dermatologues en exercice par rapport aux générations précédentes et par l’augmentation du temps passé aux activités annexes.

 

Dans les faits, il y a moins de dermatologues à plein temps, les tâches administratives sont de plus en plus chronophages.

 

Des dermatologues sur-sollicités

 

En outre les praticiens de ces spécialités sont sur-sollicités avec une augmentation sensible des demandes de consultations.

Ce dernier facteur de consommation du temps médical disponible en dermatologie serait lié principalement au non-respect du parcours de soins, alors que les médecins généralistes sont en capacité de traiter 80% des maladies de la peau (zona, acné débutante etc.) ou d’assurer les consultations de dépistage.

 

Une chronicisation des maladies de la peau

 

Au delà du temps médical disponible insuffisant et de la mauvaise répartition géographique des dermatologues, il faut regarder du côté des patients avec un vieillissement de la population mais également une chronicisation des maladies de la peau qui engendre une augmentation drastique du nombre de patients tout en nécessitant un temps médical accru.  

15 % des Français souffrent de maladies chroniques de la peau et 30% de la population française de 15 ans et plus déclarent avoir ou avoir eu au moins un problème ou maladie de peau au cours des 12 mois. 

Il est permis d’en déduire qu’il reste peu de place pour de nouveaux patients dans l’agenda des dermatologues.

 

Interrogé par téléphone sur cette question, le Docteur Del Bano, l’un des deux fondateurs du site Le Guide Santé, un site totalement gratuit et indépendant à destination des patients a expliqué sa démarche sur ce sujet : « On a étudié les délais d’attente dans les régions de France. »

Selon lui, la particularité de la chronicité de certaines pathologies peut expliquer l’engorgement des cabinets de dermatologie.

 

La notion de déserts médicaux est donc à relativiser quand il s’agit de parler du cas de la dermatologie. « Un désert médical, c’est quand il n’y a pas de professionnels » explique-t-il. Ce qui n’est pas le cas d’un certain nombre de régions de France.

Selon lui, le nombre actuel de dermatologues en France est presque suffisants pour répondre aux besoins de la population.

 

Une spécialité appréciée des professionnels de santé, mais oubliée

 

Poursuivant son propos, le Dr Del Bano indique que la dermatologie correspond à l’organe oublié. Il y a quelques années, on s’en occupait moins. Aujourd’hui c’est une spécialité de pointe. C’est même la quatrième maladie au niveau mondial.

 

La spécialité est d’ailleurs très appréciée des médecins mais réservée aux meilleurs. Ce sont les élèves les mieux classés de l’internant, soit 10 % des candidats qui peuvent espérer poursuivre dans cette spécialité. Et un grand nombre des spécialistes sont d’ailleurs des femmes, une spécialité médicale bien plus médicalisée que les autres.

 

En revanche, cette spécialité est moins appréciée des médecins traitants. Pour le Dr Del Bano ; 80 % des pathologies de la peau devraient être traitées par les médecins traitants. Or d’après lui ceux-ci renverraient un peu trop facilement leurs patients en direction des dermatologues. Ceci constituerait donc un autre facteur d’engorgement des cabinets de dermatologie.

 

Il y a donc un vrai besoin. C’est près d’un tiers des français qui ont besoin régulièrement d’une prise en charge par cette spécialité. En outre, et comme nous le précisions plus haut, il y a une sur-sollicitation des patients sans passer par le médecin traitant, médecin qui devrait pouvoir faire un premier tri entre ce qui relève de ses compétences et ce qui relève de celle d’un spécialiste en dermatologie. Et comme le rappelle le Dr Del Bano, « en plus, ils seront mieux orientés et remboursés » si les patients passent d’abord par leur médecin traitant.

 

Un changement de pratique pour régler le problème de la dermatologie

 

Il y aurait donc un nombre de dermatologues presque suffisant en France. L’augmentation du nombre de dermatologues ne constituerait pas selon le Dr Del Bano la solution pour régler le problème. En revanche, il existerait plusieurs solutions. D’abord il faudrait arrêter la baisse, la décroissance du nombre de spécialistes. Il déconseille le recours aux médecins étrangers qui n’ont pas forcément  suivi les mêmes études que les dermatologues français, sauf à ce qu’ils viennent de Suède, de Suisse ou de Hollande.

 

Autre constat, les médecins les mieux formés se trouvent dans les grandes villes, ce qui contribue à accroître les inégalités territoriales. « Il fat qu’on arrête de parler d’égalité sanitaire. Il y a une fracture réelle sanitaire » déclare le Dr Del Bano.

Il y a donc une formule incitative qui doit être mise en place comme c’est déjà le cas depuis plusieurs mois en Saône-et-Loire, département qui a su recruter de nombreux médecins.

Le co-fondateur du Guide Santé va plus loin en précisant qu’il faudrait aussi faire appel à des méthodes plus coercitives : « On ne peut plus laisser les médecins s’installer là où ils veulent. » précise-t-il. D’un côté, les régions ont un travail à faire pour rendre leur territoire plus attractif à destination des médecins et de l’autre, il faudrait donc limiter le nombre de médecins dans certaines localités, afin de permettre une meilleure répartition territoriale.

 

Et l’augmentation du temps disponible pour les consultations est aussi un facteur important pour désengorger les cabinets.

 

« Dire qu’on peut augmenter leur nombre est illusoire » explique le Dr Del Bano. Il résume ainsi les différentes solutions pour un meilleur accès aux soins en dermatologie : éduquer le patient afin qu’il passe d’abord par son médecin traitant, bien former les médecins généralistes à cette spécialité ce qui pourrait permettre de réduire les délais d’attente de 20 %; être davantage attractif dans les départements et éviter de se laisser tenter par des mauvaises solutions (médecins étrangers ou télémédecine).

 

En outre, le médecin rappelle que les infirmiers peuvent aussi jouer un rôle important : « quand ils sont bien formés, ils font du tri. Il faut se servir de cela ». Et de poursuivre : « Il faut apprendre au patient à se surveiller. Un mélanome, c’est très agressif. On n’attend pas trois mois quand on a des lésions. »

 

La télémédecine n’est pas une solution

 

Pour la dermatologie en tout cas, le Dr Del Bano précise « on n’est pas au point ». « C’est surtout de la téléexpertise. Mais il n’y a aucun diagnostic qui n’ait été réalisé à distance. Il ne faut pas donner de fausses solutions aux gens. Il faut resituer le débat : soit on laisse évoluer la médecine vers quelque chose de commercial, soit on fait quelque chose comme on le conçoit en France ».

 

C’est d’ailleurs dans cette optique et dans l’optique d’accompagner les patients à se responsabiliser, à s’éduquer que le Guide santé a été créé sur l’idée de deux médecins.

Ils font paraître un article tous les mardis (une websérie). C’est un site de santé publique, créé sur les fonds propres des deux médecins.

« On mettra de la pub plus tard, mais pas n’importe quoi. Les annonceurs seront régulés. La démarche de qualité est importante. C’est le modèle économique que nous souhaitons pour ce site » a précisé le Dr Del Bano co-fondateur du site.

 

En outre le site recherche du sponsoring pour poursuivre ses enquêtes, car une enquête telle qu’elle a été réalisée sur le sujet de la dermatologie coûte 25 000 €.

 

Et de préciser : « Nous restons indépendants vis-à-vis des médecins et des hôpitaux. » En effet, à la base, il s’agit d’un site de classement d’hôpitaux, d’EHPAD et de maternités. Ce sont les patients qui évaluent les établissements. Et pour chaque avis donné, le Dr Del Bano vérifie leur validité. Ce sont ainsi 24 000 avis qui ont été déposés.

 

Le site va poursuivre ses publications sur de nombreux sujets dont l’ophtalmologie ou encore la gynécologie. Son comité de rédaction comprend une quinzaine de personnes et de plus en plus de spécialistes interviennent aussi.

 

A découvrir donc.

 

EM

 



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