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vendredi 24 décembre 2010 à 10:53

Décès de Jacqueline de Romilly

"Des hommages parfois hypocrites" écrit Philippe Baumel



« Jacqueline de Romilly s’en est allée. Les hommages officiels se succèdent. Ils revêtent parfois les traits de la plus insupportable hypocrisie quand on songe au mal qui a été fait à la culture classique et aux langues anciennes par le pouvoir. Jacqueline de Romilly, immense intellectuelle et helléniste, spécialiste de Thucydide, a été une infatigable combattante de la culture classique, avocate des langues anciennes, amoureuse de notre école républicaine, elle avait fait quelques solides propositions à François Fillon pour revivifier notre enseignement : sans succès, hélas. Jusqu’au bout, elle aura tenté de faire entendre raison à un pouvoir sourd aux aspirations culturelles de notre pays. Elle avait, dans les années 1990, écrit quelques Lettres aux parents sur les choix scolaires… Cette culture-là parle au socialiste que je suis et qui se souvient que Jaurès avait rédigé deux thèses à l’Ecole normale supérieure : une en français, l’autre en latin…

Pourtant, aujourd’hui, les langues anciennes sont menacées d’anéantissement. Car la vérité est terrible. Oui, le pouvoir a décidé de faire avaler la ciguë aux enseignants de latin-grec. Un capes de lettres classiques vidé de sa substance, une attaque méthodique des moyens liés à ces savoir « optionnalisés » dans le secondaire et une attaque encore plus vigoureuse contre la culture classique (souvenons-nous de l’épisode de La Princesse de Clèves)…


Et pourtant, il y aurait quelques raisons de faire connaître les textes latins et grecs, d’encourager nos lycéens à se saisir de ces savoirs si utiles au progrès intellectuel et à ce que l’on se plaisait jadis, chez les socialistes, à définir comme «l’affranchissement de l’humanité»…Nicolas Sarkozy, par exemple, fait immanquablement penser au Trimalcion du Satyricon de Pétrone que l’on donnait souvent à étudier aux lycéens pendant les cours de latin. Trimalcion, esclave affranchi, se plaisait à philosopher sur la mort en agitant un squelette factice dans un décorum du plus mauvais goût… Sans doute est-ce pour éviter à notre jeunesse la possibilité de découvrir que le bling bling a deux mille ans, que l’on casse méthodiquement l’enseignement du latin et du grec, que l’on s’acharne à briser ces langues qui font le ressort de la culture classique, culture par essence utile pour une société éclairée. Une question fort simple se pose à l’honnête homme : dans le panthéon imaginaire de la culture européenne, retrouverait-on Fellini s’il n’y avait eu Pétrone ?


Attendons maintenant que le pouvoir s’en prenne à l’Ecole des chartes, qu’il lamine un peu plus les gardiens de notre histoire et de nos archives. Il finira par privatiser le Louvre après avoir bazardé d’antiques manuscrits en Corée… La mémoire collective est devenue l’ennemie d’un pouvoir qui façonne l’histoire sous les traits d’un kitsch de plus en plus insupportable. Le corollaire de l’assassinat méthodique des langues anciennes c’est cet obscur musée de l’Histoire de France dont on attend avec angoisse l’ouverture tant on craint qu’il ne soit que le Palais des Mirages de la République…

Nous sommes dans une ère pré-berlusconienne. A Pompéi, la caserne des gladiateurs s’est effondrée faute d’entretien pendant que le Néron cathodique qui gouverne l’Italie multiplie crânement provocations, achats de députés et soirées quasi-officielles « bunga bunga »… La droite a déclaré la guerre à la culture. Les droites européennes se vautrent dans un spectacle permanent, coupé de toute histoire et digne des jeux du Cirque… En Italie aujourd’hui, en France demain…


« Quand j’entends le mots culture, je sors ma télécommande et je zappe ! » Voilà le slogan d’un pouvoir prêt à tout pour asseoir son hégémonie sur une ignorance qu’il souhaite encourager et développer. Décidément oui, Jacqueline de Romilly nous manque !
« 


Philippe Baumel

Président de l’UDESR de Saône-et-Loire






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