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lundi 28 juillet 2025 à 06:03

La Claudine aime les week-ends, mais parfois le lundi est le bienvenu.

Tout le monde en parle, personne n’y pense, mais ça énerve la blogosphère.



  

Bien qu’elle ne soit pas une accro du scrolling, la Claudine passe un peu de temps sur son smartphone. Elle navigue aussi entre chaînes d’info continue, il faut bien qu’elle se renseigne, qu’elle se tienne au courant.

En effet, il suffit de faire défiler un peu. Un écran, un clic, un pouce vers le bas. Là : un scandale. Ici : une tendance. Plus loin : une indignation. Entre deux vidéos de chats, une marque vous vend son engagement écologique à travers une capsule de t-shirts « responsables ». Plus bas encore, une célébrité qu’on ne connaissait pas hier est en pleine polémique. Et demain ? On passera à autre chose.

Dans ce bruit de fond numérique devenu la bande-son de notre quotidien, quelque chose s’est inversé. Ce n’est plus la profondeur qui fait la valeur d’un sujet, c’est sa visibilité. Plus c’est vu, plus c’est vrai. Plus c’est partagé, plus c’est réel. Et tant pis si c’est creux. Ça, la Claudine l’indispose au plus profond de son être. Sans doute vieux jeu, elle privilégie le fond à la forme, la réalité aux apparences.

Force lui est de constater que nous vivons à l’heure de la tendance. Elle arrive comme une vague, emporte tout sur son passage, nous fait croire que c’est « le sujet du moment », puis s’efface aussi vite qu’elle est venue. Derrière elle, pas de traces, pas de changements concrets. Juste un sentiment diffus d’avoir participé à quelque chose. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui « être dans l’air du temps ».

En réalité, la Claudine vit tout ça comme la tyrannie du moment. Tout se joue dans l’instant. Ce qu’on pense, ce qu’on dit, ce qu’on porte. Il faut réagir vite, avoir un avis, même flou. Surtout ne pas rester silencieux : le silence est devenu suspect. Alors on clique, on commente, on partage. Mais partage-t-on vraiment une idée ou seulement une posture ?

La pensée critique, elle, demande du temps. Elle exige du doute, de la nuance, de l’effort. Elle est incompatible avec le tempo des réseaux sociaux, avec le format des chaînes d’info en continu où les experts se contredisent à la minute, où l’émotion précède toujours l’analyse. Résultat : on survole tout, on n’approfondit rien. On s’indigne beaucoup, mais on change peu. Et surtout on surréagit, on vitupère, on insulte, on voue aux gémonies, on perd tout sens de l’éducation et du ridicule.

Cette frénésie collective n’est pas qu’une affaire d’algorithmes. Elle dit quelque chose de nous. De notre besoin d’appartenance. De notre peur de ne pas être dans le coup. De notre paresse à trier l’essentiel de l’accessoire. De cette liberté de penser que nous vantons, mais que nous exerçons de moins en moins. Cela navre de plus en plus la Claudine, qui se dit qu’elle ne devrait pas aller sur les réseaux sociaux, ne plus regarder les chaînes d’infos. Oui, mais là ça poserait un problème : comment écrire la rubrique du lundi ?

Et puis il y a l’illusion : croire qu’un retweet ou un post suffisent à faire acte. Que l’adhésion à une cause réside dans un filtre de profil. Mais en réalité, beaucoup de ces mobilisations-éclair ne sont que des écrans de fumée. Elles masquent l’absence d’engagement réel, de changement de comportement. Elles donnent bonne conscience. Et ça suffit.

Il faut en être conscient, se dit la Claudine : pendant qu’on regarde ailleurs, des sujets fondamentaux restent dans l’ombre. L’école publique qui s’effondre, la santé mentale des jeunes, le monde agricole en crise, l’accès à l’eau qui devient une question de territoire… Moins spectaculaires, moins « sexy », ils sont pourtant bien plus déterminants.

Mais il faut du silence pour écouter. Du temps pour comprendre. De l’attention pour débattre. Tout ce que l’époque ne nous offre plus.

On s’illusionne si l’on pense que ce théâtre numérique est sans spectateurs. Il a ses metteurs en scène, ses financiers. Derrière chaque tendance virale, il y a une opportunité économique. Une marque qui vend, une audience qui grimpe, une publicité qui s’affiche. Plus vous êtes captif, plus vous valez cher. L’économie de l’éphémère est tout sauf gratuite.

Et pendant que nous débattons en boucle de la dernière polémique, certains en profitent pour vendre du vide à prix d’or.

La Claudine ne se cache pas que rien ne nous oblige à tout commenter. Ni à tout suivre. On peut choisir. Lire un article jusqu’au bout. Éteindre son téléphone. Revenir à un livre. Interroger une certitude. Cultiver le doute. Ce sont des gestes simples. Ce sont, aujourd’hui, des actes de résistance. Parce que, non, ce n’est pas ringard de prendre son temps. C’est même salutaire. Parce que penser, vraiment penser, ce n’est jamais une tendance. C’est un effort. Un engagement. Et surtout, une liberté.

Car enfin notre quotidien médiatique et internet est peuplé de polémiques d’un ridicule affirmé :

– Le pull de Noël « problématique » : chaque année, un vêtement kitsch déclenche un débat sur « l’appropriation culturelle », « le mauvais goût » ou encore « la pollution textile », oubliant que personne ne le prend au sérieux. Résultat : les réseaux s’enflamment, les marques s’excusent, puis… tout recommence l’année suivante.

– La cantine « raciste » pour avoir servi des nems : une école s’est vue accusée de stéréotyper l’Asie pour avoir inscrit au menu un « repas asiatique »…

– la « cancel » d’un dessin animé des années 1990 : des comptes ont lancé une campagne pour faire retirer certains épisodes de dessins animés (Tintin, Les Razmoket, Dragon Ball Z…) jugés aujourd’hui « problématiques ».

– la « guerre du barbecue » : le simple fait d’évoquer, dans une tribune écolo, que « le barbecue est un loisir genré, polluant et carniste » a suffi à créer une guerre culturelle nationale, avec des tribunes indignées, des prises de position politiques, et même des insultes. Résultat : on n’a parlé ni d’écologie, ni d’égalité, ni d’alimentation durable.

Notre quotidien médiatique et internet est aussi abreuvé de : tendances nées sur le vent (ou le sable) :

– Le « quiet quitting » : concept venu des États-Unis : ne faire que le strict minimum au travail. Présenté comme une révolution du rapport à l’emploi, il a été monté en épingle… pour finalement désigner une réalité vieille comme le monde : le désengagement professionnel.

– La mode du « dopamine dressing » : porter des couleurs vives pour être heureux. C’est sympathique, mais il ne s’agit pas d’une vérité scientifique ni d’une solution aux vraies causes du mal-être. Pourtant, des marques ont surfé sur l’idée, vendant des tee-shirts “joyeux” à 95 €.

– Les « glimmers » : la tendance TikTok de repérer chaque jour une « étincelle de bonheur » (le chant d’un oiseau, une odeur de café, une lumière). Là encore, c’est une idée poétique devenue un objet de consommation.

– Le « no Bra » généralisé puis « re-Brasé » : en quelques mois, les injonctions contradictoires se sont succédé : ne plus porter de soutien-gorge pour s’émanciper, puis le retour du soutien-gorge « féminin et libre », pour reprendre le contrôle. Une révolution textile fondée sur… des algorithmes, pas sur les convictions des femmes concernées.

Tout cela entraîne des dérives collectives vides de sens.

– Le « débat » sur les drag-queens en bibliothèque pour enfants : transformé en crise nationale, alors que l’événement avait lieu dans trois villes, pour 20 personnes, avec l’accord des parents. Mais l’effet de loupe médiatique a suffi à créer un front de “défense de l’enfance” sans réalité.

– Le tollé sur l’emoji pêche ou aubergine : interprétés comme des symboles sexuels, certains groupes ont réclamé leur retrait. On a débattu des fruits numériques pendant une semaine, pendant que les grandes plateformes continuaient de vendre les données des utilisateurs mineurs sans entraves.

Pendant ce temps-là, la Claudine lit encore des livres, elle, regarde tout ça avec une moue mi-amusée, mi-désespérée. Elle a vu défiler les polémiques comme d’autres regardent passer les trains : un pull de Noël accusé de crime textile, un nem suspecté de racisme, un dessin animé mis en procès par des adultes qui ne l’ont jamais regardé enfants, et une aubergine qui, à elle seule, aurait pu provoquer une guerre des emojis.

Pendant qu’on s’empoigne sur la virilité toxique du barbecue ou la profondeur existentielle du tee-shirt jaune poussin, des sujets autrement plus brûlants restent au frigo. Le monde agricole s’effondre, la jeunesse vacille, l’école rame et l’eau manque, mais ça ne « buzze » pas. Donc, à quoi bon ?

Et puis il y a ces tendances qu’on adopte aussi vite qu’on les oublie : le « quiet quitting » (alias « je fais mon boulot, mais pas celui des autres »), le « dopamine dressing » (alias « mettez un pull rose et la vie sera belle »), les « glimmers » (alias « le bonheur, c’est une guirlande TikTok à 9,99€ »). On vous les vend emballées dans du sens, mais c’est vide dedans.

Tout cela finit par ressembler à une gigantesque mascarade où l’on joue à débattre sans jamais réfléchir, à s’indigner sans jamais changer, à s’exprimer sans jamais penser. Et comme la Claudine a encore un peu de bon sens (et une carte de bibliothèque), elle se dit que oui, tout ça fatigue.

Mais rassurez-vous : demain, tout le monde aura oublié. Jusqu’à la prochaine tempête dans un gobelet en carton.

Alors, en attendant, Claudine vous conseille : éteignez un peu votre téléphone. Ça repose les yeux, et surtout, ça rend l’intelligence contagieuse.

 

Gilles Desnoix

 

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