Autres journaux


lundi 18 août 2025 à 10:50

La Claudine aime les week-ends, mais parfois le lundi est le bienvenu.

    Claudine sort les griffes : “Surtourisme” : tri sélectif des vacanciers, concept médiatique creux, alarme des professionnels ?



 

Samedi matin, la Claudine se disait par devers elle : « Dans un monde qui court partout, il reste un endroit où on prend encore le temps de dire bonjour avant de parler business : le marché. ». Et donc ce samedi, elle est ressortie du marché de Montceau avec un sourire qui ne tenait pas dans mon cabas. Après des jours de canicule, les gens sont soit apathiques, soit sur les nerfs. D’ailleurs, un monsieur lui a marché sur le pied en se battant pour la dernière brioche. Mais voilà… sur le marché du Montceau, on parle encore aux gens. On discute trois minutes avec la maraîchère sur la météo (“pas assez de pluie, trop de soleil, même les tomates ont du mal à rougir quand même”), on croise une vieille copine de lycée au stand de fromages, et on finit par boire un café debout avec un voisin qu’on ne croise jamais autrement que devant sa boîte aux lettres. Et puis tout se gâte. À la table d’à côté, deux rombières couvertes de colifichets, bagues et colliers, incongrus par ce temps caniculaire, inondent la terrasse du Carnot de leurs péroraisons geignardes.

« Je n’en peux plus », dit l’une qui engage une longue diatribe sur l’envahissement des plages, des centres-ville, des lieux à visiter par une populace pas toujours discrète (ah bon ?), mal éduquée et évoluant en vrais troupeaux. Son amie renchérit par « tout à fait, tout à fait, pas mieux, c’est de la faute au surtourisme, ils le disent bien sur Cnews ».

Du coup l’ice tea de la Claudine manque de lui ressortir par les narines. Ah non, pas ça, depuis début juillet, chaque jour, chaque chaine d’info distille en resucées honteuses des rubriques sur le fameux « surtourisme ». La Claudine a son idée sur la question. Le “surtourisme”… Ce nouveau gros mot à la mode. Un mot qui sonne savant, qui fait sérieux, qui permet aux élus de froncer les sourcils en conférence de presse et aux journalistes d’avoir des images bien spectaculaires à mettre derrière.

Tout le monde le sait, la Claudine a l’œil qui frise, la plume qui pique, c’est une mauvaise langue qui a un bon fond. C’est vrai, elle n’est pas toujours tendre, mais jamais méchante pour rien. Il faut se le dire, c’est la râleuse patentée du bassin minier.

Mais convenons-en, elle n’a pas forcément tort car on nous rabâche sans cesse : “Il y a trop de monde sur les plages, dans les ruelles, sur les sites classés.” Ah bon ? C’est bizarre… parce que quand ça consomme, ça réserve, ça achète, là, on trouve toujours que “ça manque un peu de fréquentation cette année”. L’analyse du mois de juillet tire des larmes des professionnels du tourisme et de la restauration. Eh bien, alors quoi ? La Claudine s’amuse également lorsqu’elle songe que ce sont souvent les mêmes qui hurlent au “surtourisme” et qui, en coulisses, réclament des subventions pour “relancer la fréquentation”. En gros : “Venez, mais pas vous.”

C’est un concept récent et importé : apparu en 2008, popularisé à partir de 2016 par la plateforme américaine Skift, principalement pour des raisons marketing et commerciales (vendre le hors des sentiers battus). Ce mot-valise flou et surmédiatisé regroupe des réalités très différentes (stations balnéaires conçues pour accueillir massivement / villes historiques submergées / sites naturels fragiles). Il utilise des critères instables : qualité du site menacée, rejet par la population locale, dégradation de l’expérience… Mais chaque critère est discutable, subjectif et varie selon les contextes. Il sert à une instrumentalisation car utilisé pour promouvoir d’autres produits touristiques, éviter de traiter les vrais problèmes (gestion des flux, modèle économique, urbanisme, logement). Il bénéficie d’une récupération médiatique : les images de plages bondées ou de ruelles saturées servent à alimenter un récit alarmiste… qui en réalité attire parfois encore plus de visiteurs.

Est-ce que l’expression ne signifie pas quelque part : « on ne veut pas moins de monde, on veut moins de pauvres, on ne veut pas protéger les sites, on veut protéger l’entre-soi ». D’ailleurs cela a une finalité visible en monnaie sonnante et trébuchante, on adore mettre des quotas ou des taxes “pour préserver”, mais surtout pour trier.

La Claudine en est persuadée, le problème est mal dimensionné car la plupart des sites gèrent correctement leur fréquentation ; les saturations ne concernent souvent que quelques heures ou jours dans l’année. Et puis les solutions sont connues depuis longtemps, elles passent par une régulation fine, de l’étalement saisonnier et horaire, de la réorientation vers d’autres lieux et surtout une implication des habitants et visiteurs.

La Claudine se dit que, franchement… on devrait, pour une fois, parler du vrai problème.

Le vrai problème, ce n’est pas le selfie stick du touriste allemand, c’est le modèle de tourisme qui carbonise la planète avec des avions low-cost à 19,99 € et des paquebots qui polluent plus que des villes entières. Mais ça, bizarrement, ça fâche les sponsors. Le vrai problème, ce sont les privatisations des plages, des monuments historiques, le manque de moyens de mobilité collective à des prix abordables.

Mais il y a quand même des idées assez justes dans le concept. Oui, certains sites ou centres-villes souffrent d’une fréquentation excessive qui dégrade à la fois le patrimoine et la vie locale. Oui, il y a un besoin de gestion intelligente des flux pour préserver les sites sensibles. Oui, le sujet permet de remettre en question le modèle de croissance infinie du tourisme.

Dans le même temps, il faut avoir conscience de ce qui est exagéré, déformé ou manipulé. En premier le surusage médiatique : le terme « surtourisme » est devenu un gimmick journalistique ; il s’applique à tout et n’importe quoi, même là où la saturation est structurelle et voulue (stations balnéaires). En second la simplification grossière : on évacue la diversité des situations pour coller à un mot « tendance ». En troisième, il existe des effets pervers : dénoncer le surtourisme sur Instagram ou dans les JT… donne envie à certains d’y aller « avant qu’il ne soit trop tard ». Et en quatrième, cela amène à une occultation des réalités sociales : le débat est souvent porté par et pour les classes aisées, qui défendent la « quiétude » de leurs lieux de villégiature contre l’arrivée du tourisme populaire.

La Claudine ne peut se défendre de suspecter des arrière-pensées et des intérêts derrière le concept. Du marketing déguisé : vendre des séjours plus chers en se positionnant « hors du surtourisme » (donc hors du tourisme de masse). Des visées politiques locales : justifier des mesures restrictives (quotas, taxes) qui profitent à certains acteurs économiques mais limitent l’accès aux moins fortunés. La constitution d’un effet d’exclusivité : maintenir un entre-soi touristique dans certains sites « prestigieux ». Une stratégie médiatique : jouer sur l’angoisse collective et les images chocs pour faire de l’audience

Parce qu’enfin, grogne la Claudine, on pourrait penser qu’il s’agit d’un jugement de classe avec parfois une connotation raciste sous-jacente. Quand on parle de « surtourisme », on ne vise pas les yachts sur la Côte d’Azur ni les séjours de luxe à Bora Bora, mais les charters pour Barcelone, les ferries pour Santorin ou les cars pour le Mont-Saint-Michel. Derrière la critique du « trop de monde » se cache souvent une hiérarchie implicite des touristes : ceux qui ont les codes et l’argent sont « voyageurs », les autres sont « touristes » et deviennent un problème. Dans certaines destinations, le rejet peut cibler des nationalités précises ou des formes de consommation culturelle jugées « inappropriées ».

Derrière ce concept, la Claudine se rend compte de tout ce que le discours sur le surtourisme oublie. Tout le monde ne part pas en vacances : le taux de départ plafonne à 60 % en France, et régresse pour les ménages modestes. L’absence de précisions sur la cible implicite : le tourisme populaire : ce sont les flux de masse (bus, low-cost, croisières à prix abordable) qui sont pointés du doigt, rarement le tourisme de luxe. La dimension possible de mépris social et culturel : dans certaines villes, le rejet du « surtourisme » est en réalité le rejet d’un public jugé bruyant, peu raffiné… et parfois étranger de cultures populaires. Et surtout et aussi, l’incohérence écologique : le concept n’est pas vraiment lié à la question climatique, alors que le transport aérien et les croisières en sont de gros contributeurs.

Et pour conclure ce débat avec elle-même, et avant de commander un nouvel Ice tea, la Claudine décide que le « surtourisme » est moins une réalité objective qu’un outil rhétorique et commercial. Il est flou car il amalgame des situations très différentes, partial parce qu’il vise surtout le tourisme populaire, rarement celui des élites, spectaculaire en ce qu’il offre aux médias des images chocs… et aux destinations concernées une publicité paradoxalement bénéfique, mais utile puisqu’il sert à justifier taxes, quotas et politiques de sélection sociale des visiteurs.

Pour elle, le vrai débat n’est pas de savoir si le « surtourisme » existe, mais qui décide qu’il y a “trop” de touristes, pour qui, et dans quel but.

Et en riant la Claudine prolonge la réflexion : « et s’ils allaient bientôt mettre des quotas pour accéder au marché de Montceau ? Désolé madame, mais vous avez déjà acheté deux kilos de tomates, ça fait surtomates.”

 

Gilles Desnoix

 

claudine-180825



Laisser un commentaire

Vous devez être connecté pour publier un commentaire.


» Se connecter / S'enregistrer