TikTok dans le viseur après des drames
TikTok et les adolescents : naviguer entre liberté et protection dans un monde hyperconnecté
La question qui se pose est : faut-il protéger nos ados des algorithmes ?
Montceau News fait le point sur la question, ses lecteurs pourront ainsi mieux cerner le problème et se faire une opinion.
« Ma fille était noyée sous des vidéos qui lui proposaient la mort comme solution », confie Martine, maman de Lilou, 14 ans, décédée à Gap. Pour cette mère en deuil, TikTok a joué un rôle déterminant dans le geste de son enfant. Son témoignage, bouleversant, fait écho à d’autres familles en France et relance une question sensible : les réseaux sociaux en font-ils trop pour capter l’attention de nos ados, au risque de les mettre en danger ?
Quand les vidéos deviennent un piège
À Treillières, en Loire-Atlantique, Arnaud Ducoin raconte avoir découvert dans le téléphone de sa fille des tutoriels expliquant comment se suicider. « On croit qu’ils regardent des danses ou des blagues… mais l’algorithme leur propose autre chose. Une fois que ça commence, ils ne voient plus que ça », dit-il.
Ces parents décrivent la même mécanique : l’algorithme de TikTok pousse toujours davantage de contenus similaires à ce que l’utilisateur a déjà regardé. Chez des jeunes fragiles, cela peut se transformer en spirale infernale.
Amélie, 16 ans, témoigne anonymement : « Quand j’étais mal, je cherchais des vidéos sur la dépression. Très vite, je n’avais plus que ça dans mon fil. Au lieu de m’aider, ça m’a enfermée. ».
Le vrai problème demeure dans la vision des adultes qui peut être un obstacle, parce qu’elle réduit souvent les réseaux sociaux à des menaces ou à des distractions, alors qu’ils sont pour les adolescents un espace existentiel central. Les adultes voient souvent les réseaux comme une extension du monde réel ; les adolescents les vivent comme une partie du monde réel.
Ce n’est pas un “à côté”, c’est leur espace de vie, aussi important que la cour de récréation ou la rue l’étaient pour leurs parents. Tant que cette différence ontologique n’est pas comprise, les débats politiques ou médiatiques risquent de rester dans la caricature. Nous pourrons affirmer : « TikTok est un poison » et face à nous les ados s’en ficheront et continueront à scroller. Comprendre et réguler les réseaux sociaux exige, me semble-t-il, une approche intergénérationnelle fondée sur l’écoute des adolescents, la construction d’une culture numérique commune et la reconnaissance que les adultes partagent eux aussi des formes de dépendance.
Cela dit beaucoup de notre difficulté collective à penser une régulation juste : protéger sans mépriser, encadrer sans dénier le sens vital que ces outils ont pour les jeunes. En fait nous sommes parents comme les enfants confrontés aux mêmes pièges et nous les abordons pas avec les mêmes armes, nous ne nous en tirons souvent pas mieux qu’eux.
L’avènement de plateformes comme TikTok a transformé la manière dont les adolescents interagissent avec le monde. Ces réseaux, qui peuvent être des lieux de créativité et de partage, soulèvent aussi des questions fondamentales sur la sécurité, le bien-être et la régulation.
Faut-il les interdire ou éduquer pour mieux les utiliser ?
C’est un débat où notre ambivalence collective se heurte à des réalités complexes.
L’attrait de l’algorithme : une économie de l’attention aux conséquences réelles
L’un des principaux points de discorde autour de TikTok réside dans son algorithme ultra-performant. Conçu pour optimiser le temps d’écran en proposant des contenus toujours plus personnalisés, il peut devenir une spirale sans fin. Cette logique, que certains experts qualifient d’« économie de l’addiction », exploite nos biais psychologiques pour nous garder captifs. Pour moi, comme pour beaucoup de contemporains, cela reste difficile à appréhender avec certitude.
De nombreux cas médiatisés ont mis en lumière les dangers de cette mécanique. En 2021, un rapport du Wall Street Journal révélait qu’après avoir passé une quinzaine de minutes sur TikTok, l’algorithme pouvait pousser des adolescents vers des vidéos liées à la dépression, aux troubles alimentaires ou même au suicide. Aux États-Unis, des parents ont porté plainte, affirmant que l’algorithme de TikTok avait contribué à la mort de leur enfant en leur suggérant des défis dangereux. Des témoignages d’anciens employés confirment également que l’entreprise est consciente de l’impact de ses algorithmes sur les utilisateurs, mais que la croissance reste la priorité.
C’est là que réside une grande partie du dilemme : pour les adolescents en quête de repères ou souffrant de solitude, l’algorithme peut les diriger vers des communautés bienveillantes, mais il peut aussi les enfermer dans une bulle de contenus anxiogènes, renforçant des sentiments négatifs. L’adolescence est par essence une période de passage, où l’on cherche des repères, des modèles, une appartenance. Autrefois, cela se faisait dans les cercles familiaux, scolaires, religieux ou militants. Aujourd’hui, une grande part de cette quête se déplace vers les réseaux sociaux.
L’algorithme joue le rôle de guide : il oriente vers des communautés, des centres d’intérêt, des discours. Mais ce guide est aveugle : il n’a ni sagesse ni discernement, seulement un objectif de captation d’attention.
Nous qui jurons, pestons lorsqu’il n’y a plus d’humain au bout du fil et que nous devons taper des 1, des 2, des dièses pour attendre de très, très longues minutes avant de nous entendre dire que les lignes sont saturées, nous, donc, avons du mal à aborder les rivages de l’esprit des adolescents face à l’ambivalence de l’initiation numérique. Elle comporte un côté lumineux : l’adolescent isolé peut trouver une communauté bienveillante (fans de musique, groupes de soutien, activisme écologique, entraide scolaire, etc.). Ces espaces deviennent de véritables rites d’appartenance. Et donc, un côté sombre : la même mécanique peut le faire basculer dans une spirale d’images anxiogènes, de discours radicaux ou de contenus mortifères. L’algorithme fonctionne alors comme un anti-initiateur, enfermant l’ado dans une chambre d’échos qui amplifie ses fragilités.
Le danger est autant dans l’algorithme que dans l’appétence de la jeunesse pour les quêtes initiatiques et le besoin de découvrir par soi-même.
Face à cela nous mettons en œuvre des visions d’adultes. Comme à l’accoutumée, nous sommes absolus et très tranchés dans nos analyses et nos propositions. En effet tout n’est pas à jeter, tout n’est pas à accepter, la pondération doit trouver sa place.
Le débat sur la régulation : interdire ou responsabiliser ?
Nous ne sommes pas seuls, la planète entière est concernée. Face à ces enjeux, les gouvernements du monde entier tentent de trouver des solutions. Le rapport parlementaire français, par exemple, a soulevé l’idée d’interdire les réseaux sociaux aux moins de 15 ans et d’imposer un couvre-feu numérique. En Chine, TikTok (appelé Douyin) est déjà soumis à des restrictions strictes pour les jeunes de moins de 14 ans, avec un temps d’utilisation limité à 40 minutes par jour et un accès interdit après 22 heures.
Pour les partisans d’une régulation forte, ces mesures sont une nécessité pour protéger une génération vulnérable face à une industrie qui ne s’autorégule pas. Interdire l’accès avant un certain âge, c’est reconnaître que le cerveau d’un adolescent n’est pas encore armé pour résister aux mécanismes de l’addiction et aux dangers du cyberharcèlement ou des contenus inappropriés.
Cependant, cette approche se heurte à de nombreux obstacles. Une interdiction est-elle réellement applicable ? Comment vérifier l’âge des utilisateurs sans violer la vie privée ? De plus, n’est-ce pas un déni de la réalité, sachant que les adolescents trouveront toujours un moyen de contourner ces barrières ? Interdire risque aussi de priver les jeunes des aspects positifs de ces plateformes, qui sont de véritables espaces de socialisation, d’expression de soi et de découverte. Un adolescent passionné de dessin peut trouver sur TikTok une communauté de créateurs, des tutoriels et de la reconnaissance pour son travail. Un jeune LGBTQ+ peut y trouver un refuge et une communauté de soutien qu’il ne trouverait pas dans son environnement proche.
L’éducation numérique : la clé de la résilience ?
Face à ces contradictions, une voie médiane émerge : celle de l’éducation numérique. Plutôt que de diaboliser ou d’interdire, il s’agit d’équiper les adolescents et leurs parents des outils nécessaires pour naviguer de manière éclairée dans cet univers. Je suis partisan de cette démarche, même si je suis conscient de l’ampleur de la tâche et dans le doute quant à notre capacité à aller jusqu’au bout du raisonnement.
Les experts insistent sur la nécessité de comprendre le fonctionnement des algorithmes et de la monétisation. L’objectif n’est pas de créer une peur de la technologie, mais d’apprendre à l’utiliser avec discernement. Des initiatives comme le programme français Internet Sans Crainte ou l’association e-Enfance offrent des ressources concrètes pour aider les familles à instaurer des règles claires et un dialogue ouvert.
Les familles peuvent s’appuyer sur des actions simples :
- Fixer des limites claires : pas de téléphone au moment des repas, pas d’écran dans la chambre après une certaine heure.
- Encourager le dialogue : s’intéresser aux contenus que les jeunes regardent, sans jugement.
- Montrer l’exemple : les parents doivent aussi s’interroger sur leur propre rapport aux écrans pour être crédibles.
- Être attentif aux signaux d’alerte : une baisse des notes, un repli sur soi, des troubles du sommeil ou de l’humeur peuvent être des signes d’une utilisation problématique.
En fin de compte, le débat autour de TikTok et des adolescents nous renvoie à notre propre ambivalence face à la modernité. Je reconnais là un de mes propres paradoxes. Nous cherchons un équilibre délicat entre le besoin de protéger une génération vulnérable et le respect de sa liberté d’explorer un monde de plus en plus numérique. La solution n’est sans doute pas dans une interdiction pure et simple, mais dans un effort collectif pour mieux comprendre, réguler de manière ciblée et, surtout, éduquer pour l’autonomie.
Mais une fois encore, l’on pourra rétorquer que c’est facile de prôner cela alors que le mal continue, tue des jeunes et se moque bien de nos tergiversations.
Gilles Desnoix
Sources : Rapport de la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs (17ᵉ législature), Vie-publique.fr, BFMTV, LCP, La Tribune, étude de la Molly Rose Foundation (UK), Commission européenne, Digital Services Act (DSA), Le Monde, France Info.


