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lundi 15 décembre 2025 à 05:44

Un atelier singulier au SPIP (service pénitentiaire d’insertion et de probation)

« On est ici parce qu’on a commis des infractions, mais, pour les gens à l’extérieur, ce genre d’atelier, ça existe ? »



 

 

 

Ici règnent un principe d’abstinence (pas d’actes) et une règle éthique (on l’explique dans l’article). Nous sommes au SPIP, le service pénitentiaire d’insertion et de probation. Les personnes présentes sont sous main de justice, astreintes à un suivi judiciaire mais elles sont venues volontairement à cet atelier.

Cet atelier s’inscrit dans le cadre d’un programme nommé RESPIRE qui a été conçu dans le cadre de prévention de la récidive. Son thème : les émotions. Il est animé par deux CPIP – conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation. Charlotte Bruson et Christophe Galleron ont fabriqué leur support, ils ont tout réfléchi et ordonné en puisant ici ou là à quelques sources.

Dans un cadre aussi contraint c’est un tour de force que d’instaurer de telles conditions de parole et pourtant les deux animateurs y parviennent, avec aisance. Quelles conditions de parole ? D’abord, pas de parole d’autorité, « pas de verticalité » comme on dit. Ensuite, on donne une garantie de confidentialité. Les conseillers font table rase des casiers judiciaires, des faits ayant entraîné condamnations. Ce n’est pas le sujet, ici.

Le sujet, si on peut dire, repose sur une conception de l’être humain. A l’heure actuelle, deux représentations au moins, s’opposent : d’un côté, un être humain ramené à ses données, une personne que l’on peut « gérer », un être qui peut devenir l’objet d’une « réadaptation sociale » sous la contrainte ou bien faire l’objet d’une sorte de dressage comportemental qui trouvera, forcément, ses limites.
De l’autre côté, un être humain doté d’un inconscient (parce qu’il vit dans le langage, tout simplement) et qui, de ce fait, commence toujours par être opaque à lui-même (« je ne sais pas ce qui m’a pris » entend-on souvent en audiences de jugement). Bien souvent on habille cette opacité de mots, encore et encore (si je suis comme ça, c’est parce que ceci, cela) et l’explication ne remplit pas son office car elle renforce l’opacité (elle en a rajouté une couche).

Lutter contre l’opacité propre à tout être humain, aller vers de l’éclaircissement

C’est à cet endroit, celui des mots, que cet atelier d’une nature singulière se positionne. Ici, on ne fait pas de psychologie, on n’interprète rien mais on offre aux participants un matériel destiné à les aider à cheminer, personnellement, sur la voie d’un peu de clarté. Ça paraît élémentaire ? C’est énorme.
Nulle part dans leurs parcours judiciaires ils n’ont cette possibilité. La relation avec l’institution judiciaire est une relation verticale : ils doivent se soumettre à son autorité – c’est ainsi qu’une société chaque jour rappelle ses conditions de vie. Mais après ? Bien des peines comportent des « obligations de soin » imposées à des gens qui en général n’en demandent pas, ce qui les voue, assez souvent mais pas toujours (il faut laisser une chance au hasard des rencontres), à l’échec.
On n’oublie pas tout ce qui existe (des groupes de parole, par ex), qui est aussi utile, bien sûr, nous ne dénigrons en rien tout ce qui se fait, en entretien individuel ou en groupe, mais nous cherchons à dégager la spécificité de cet atelier.

Que des volontaires (cet atelier n’est soumis à aucune obligation judiciaire)

Dans cet atelier, le volontariat parle déjà : ça intéresse les candidats, ils voudraient bien comprendre quelque chose à ce qui les « prend » et un jour en finir avec ce qui les met en infraction, les conduit, par exemple mais pas exclusivement, à une violence que la société réprouve – à très bon droit. Ici, on ne juge pas, ici, on ne soigne pas. On s’interroge, fait le point sur des définitions. Chacun est responsable de lui-même et de ce qu’il en fera, mais chacun a ses chances, parce que, ici, on prend le temps : des séances de 2 heures hebdomadaires, sur 4 semaines. Par les temps qui courent, c’est un luxe. Il est à porter au crédit du SPIP.

Les conseillers nous ont invitée à suivre tout ou partie des séances. C’était comme on pouvait, comme on voulait. On a été volontaire, nous aussi, et on a passé trois mardis après-midi au SPIP (séances 1,2 et 4), participant comme les autres à l’atelier puisqu’aussi bien tous les êtres humains ont des émotions, et peuvent se laisser emporter par elles.

« Il vaut mieux comprendre nos émotions que de les subir »

On travaille sur la base de six émotions fondamentales (la colère, la tristesse, le dégoût, la surprise, la joie, la peur) mais spontanément ça part sur la colère, très vite associée à la peur. « La peur d’avoir honte », dit l’un. « Quand on est en retard, on a l’impression que tout est fait exprès pour nous faire perdre du temps », dit l’autre. « Et si on ne peut pas s’arrêter d’y penser ? Plus j’y pense, plus je suis dedans. » Exact, répond en substance Charlotte Bruson : « Il faut essayer de faire en sorte que l’émotion passe, et pour ça il faut avoir conscience de qu’on éprouve. »

« On ne donne pas un cours, on est là pour favoriser la réflexion »

« On vous donnera des pistes, mais pas des clés. C’est à chacun de vous de trouver ce qui vous va » répètent les animateurs au début de la deuxième séance. Et les interventions, toutes pertinentes, fusent. « Moi, c’est pas la colère, c’est la peur, et alors, quand je suis dans la peur, je ne me connais plus. » Quelqu’un d’autre enchaîne : « Quand la colère est forte, c’est plus nous. On sort de notre corps. » On mesure l’intensité, pour ne pas dire la violence, de ce qui peut submerger.

Debout, les deux conseillers rebondissent, se passant la parole au fil des slides qui donnent un appui matériel au déroulement de la séance. On en vient à nos représentations, toutes personnelles, subjectives, ancrées dans nos passés, dans nos milieux, nos cultures, nos croyances : chacun ne vit jamais que sur sa planète. Nous sommes tous différents, tous singuliers, et nous ne communiquons que fort peu, en dépit de ce qu’on s’imagine. Chacun est donc sur « sa planète ». C’est l’image qu’a choisie Christophe Galleron et c’est une idée forte de l’atelier. L’admettre, l’accepter, le reconnaître, c’est le tout premier pas vers une ouverture d’esprit qui nous fait souvent défaut, partout, dans tous les milieux, à toutes les fonctions, toutes les places sociales.

Une histoire (concrète) de planètes 

Ne pas verser dans l’apparente évidence. On nous bassine avec des sororités de pacotille, des fraternités mon œil (y a qu’à voir l’état du monde) alors que : « Quand on discute, ce sont deux planètes différentes qui discutent. Accepter que ma planète n’est pas celle de l’autre… » C’est si vrai qu’immédiatement ça résiste (et c’est bien ! ça montre que l’auditoire est attentif et intelligent) : « Pourquoi accepter ce qu’il pense, plutôt que de dire ‘Basta’ s’il n’est pas intéressant ? » Mais oui, pourquoi ?
Eh bien il ne s’agit pas d’accepter ce que l’autre pense, mais d’accepter qu’il ne pense pas la même chose. Pourquoi ? Si ça peut éviter de l’agresser, de commettre un acte violent, c’est déjà un gain appréciable. Sauf que, pour y parvenir, il faut avoir désamorcé ce qui en soi, à l’intérieur de soi, menace d’exploser quand on appuie sur certains boutons. C’est un sacré travail, il n’est pas certain qu’on y parvienne seul, mais qui sait.

« Découvrir comment les émotions peuvent nous amener à déraper »

Si on suit la logique que Charlotte Bruson et Christophe Galleron déroulent, séance après séance, on peut travailler à déjà repérer ce qui nous fait péter un câble ou nous rend triste comme pas possible, etc. Repérer cela, c’est beaucoup quand on part du noir complet ou d’états confus. « Découvrir comment les émotions peuvent nous amener à déraper. »
L’atelier délivre une invitation à se retenir. « Ne pas agir, c’est une réaction » au sens où ça montre qu’on prend le temps de la réflexion au lieu de se comporter comme une marionnette mue par des fils invisibles. Dans ces conditions, « ne rien faire, c’est faire ».

« On ne peut pas changer la pensée de quelqu’un »

Voilà qui contredit une autre évidence (certaines évidences nous induisent en erreur), celle qui fait croire que si on ne répond pas à une provocation ou à ce qui est vécu comme tel, c’est « lâche ». Or en ce cas, ne rien faire, ce n’est pas se soumettre, au contraire puisque c’est parvenir à ne pas être complétement le jouet de nous-même. Ce que l’autre en pense ? On s’en fiche !  Un des participants le dit très bien : « On ne peut pas changer la pensée de quelqu’un. »
« Réfléchir avant d’agir », l’adage est ancien, comme l’histoire de tourner sa langue sept fois dans sa bouche, si ça peut éviter d’insulter, c’est pas plus mal. « Pour pouvoir agir sur votre comportement, il faut agir sur votre mode de pensée. » Rien d’évident là-dedans, mais ça se fait, faut l’temps…et du travail.  

Contre le « trop », que faire ?

Et quand on a filé dans la zone rouge, qu’est-ce qui nous apaise ? « L’amour de mes filles », « bricoler mon moteur », « faire le ménage », … « quand des fois je suis pas bien, je prends le volant et je roule : ça vide mes pensées ».
« Vider » renvoie à l’intensité, à l’insupportable du « trop ». Il faut faire baisser le niveau, et tout le monde a ses trucs. Le plus compliqué c’est quand on est « pris » dans une situation : seuls du travail et un chemin qui exige du temps, permettent de se détacher de nos mines anti personnelles. Rien n’est donné à l’être humain comme le chante Joan Baez*.

« On est ici parce que tout le monde a fait des bêtises, mais, pour les gens à l’extérieur, ça existe ? »

A notre sens, la qualité de l’atelier atteint son sommet quand l’un des participants demande : « On est ici parce que tout le monde a fait des bêtises, mais, pour les gens à l’extérieur**, ça existe ? »
Il a tout compris : ce qui est interrogé au cours de l’atelier s’adresse à tout être humain en tant qu’il est soumis à la même loi que son voisin. C’est un tour de force, on le répète, dans un tel cadre.

Ce 9 décembre, dernière séance

« Changer », y a rien de plus difficile. Il faut y travailler, il faut du temps (ah ça, oui !), il faudrait s’observer, prendre du recul. Décidément, tout est difficile. Charlotte Bruson apporte les éléments tempérants et doux : « Il faut de la patience et de la bienveillance envers soi-même, ne pas hésiter à recourir à ce qui vous calme. » « Ne plus faire comme avant, c’est extrêmement difficile » avait déjà – honnêtement – insisté Christophe Galleron.
Les conseillers pénitentiaires ont tenu leur position du début à la fin : pas d’intrusion, zéro jugement évidemment, un cadre qui favorise les participations mais sans débordement, pas de maître ni de prof mais tout de même l’exposé d’un travail, un travail remis sur le métier après chaque atelier. Un outil vivant, quoi.

Au soutien de ce qui est vivant en chacun mais qui peut devenir un boulet, un embarras

Cet atelier sur les émotions est donc aussi un travail sur le temps, donnée inhérente à toute vie humaine mais donnée mise à mal par les modes de vie contemporains qui ont tendance à nous faire croire que claquer des doigts, ça marche. C’est vrai pour les clics que nous donnons de partout chaque jour, c’est vrai pour appuyer sur un interrupteur, ouvrir un robinet d’eau. Ce n’est pas vrai du tout pour nos vies. Un tel atelier, au soutien de ce qui est vivant en chacun et qui peut, à l’occasion, devenir un boulet, un embarras, dans ce cadre judiciaire, est une chance. A ceux qui le peuvent/veulent de s’en saisir pour continuer à avancer, et, qui sait, à évoluer, y compris « à l’extérieur ».

Les derniers mots, ceux des participants

Que retiennent-ils, spontanément, de ces 8 heures d’atelier ? « La planète. »
« La planète. C’est dommage j’aurais bien aimé apprendre ça plus tôt….  – C’est peut-être qu’aujourd’hui tu étais prêt à l’entendre, tu t’es ouvert à autre chose. »
« On est tous différents. »
« C’est dommage que les personnes hors du SPIP ne peuvent pas participer à ça. »
« La planète. Chacun son vécu, chacun son ressenti. »
« La prise d’information. Je reste sur l’information. Ça permet de sortir de l’ignorance de notre propre fonctionnement. Moi, avant, je réfléchissais pas… »
« Y a quelque chose que j’ai retenu mais pas encore assimilé : ciné. C’est mon cinéma dans ma tête qui provoque… »
« Respire avant d’agir. »
L’un des derniers à partir sert la main des conseillers : « Vous nous avez donné des armes pour nous battre contre nous-mêmes. »

 

*                      *                      *

Nous remercions chaleureusement le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation de nous avoir reçue, en confiance. Merci à monsieur Hamdi Ben Alaya, directeur du SPIP de Saône-et-Loire, merci aussi à Céline Duchaine, directrice de l’antenne de Chalon-sur-Saône, encore merci aux deux conseillers de nous avoir sollicitée, et merci infiniment à tous les participants d’avoir accepté notre présence et notre participation.

*https://www.youtube.com/watch?v=mAtW5vTfrdA

**Une rapide mention à propos de « l’extérieur » : alors que cet homme n’est pas incarcéré, il est sous main de justice, il n’est donc pas complètement libre, et c’est bien ainsi qu’il le vit. Les locaux du SPIP sont des locaux adaptés à leur objet : ils sont sécurisés, il faut des badges pour passer d’un espace à l’autre, la salle dans laquelle nous sommes est une salle enterrée, sans fenêtre. Ceci dit pour ceux qui ne connaissent pas ces réalités et qui les fantasment, les imaginent, soit sur un mode d’horreur (c’est faux) soit dans l’idée que c’est le club med (c’est faux).

[Cet atelier est hors obligation judiciaire, mais on précise tout de même que pour tout le reste, le travail d’un conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation est référé à un juge de l’application des peines :
https://www.creusot-infos.com/news/bourgogne-franche-comte/bourgogne-franche-comte/l-application-des-peines-1-dans-les-coulisses-des-sursis-probatoires-ou-des-detentions-a-domicile.html ]

 

 

tribunal-prison-131225

 

 

 



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