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samedi 5 février 2022 à 06:19

Tribunal

Montceau – Un contrôle tourne mal : trois heures d’audience



 



 

Le 1er avril 2020 en début de soirée, monsieur X sortait pour acheter à manger, et quand il rentre chez lui, quelques jours plus tard, il doit se nourrir à la paille pendant des semaines. Entre les deux moments, que s’est-il passé ? « J’aimerais qu’on enlève les œillères qu’on essaie de nous mettre » commence par dire maître Mathilde Leray au tribunal.

Ce vendredi 4 février 2022, le tribunal correctionnel juge monsieur X, 31 ans, qui vit à Blanzy. Il est poursuivi pour violences à l’encontre de policiers, outrages, rébellion et aussi parce que l’attestation dérogatoire de sortie, obligatoire au printemps 2020 (cause pandémie Covid19), qu’il a présenté lors de son contrôle, le 1er avril 2020 vers 21h45 à Montceau-les-Mines, était raturée. Il avait mis la date du jour par-dessus celle de la veille. Et voilà à partir de quoi la soirée a tourné au cauchemar. Les policiers qui l’ont contrôlé, écrivent dans un PV qu’il leur a demandé s’ils n’avaient pas « autre chose à faire », et qu’ils pouvaient en « contrôler d’autres ». A l’issue de cette soirée dramatique à tous points de vue, le parquet engageait des poursuites contre le contrôlé, lequel déposait plainte contre un des policiers.

Aucune confrontation, et plainte classée sans suite

Nous avons écrit trois articles* qui reprennent les faits et le contexte, mais l’audience de ce jour apporte des informations. On apprend que le rapport d’enquête demandé au commissariat de Mâcon est rentré, que le rapport de l’IGPN, saisie par le procureur de la République en avril 2021 est rentré, et qu’en novembre 2021, le procureur a classé la plainte de monsieur X « sans suite ». On apprend également que la confrontation ordonnée par le tribunal en avril 2020 entre le prévenu et les policiers qui se constituent parties civiles, n’a jamais eu lieu, « et il n’y en aura pas, ce qu’on peut regretter » constate le président Madignier.

3 et 5 jours d’ITT pour deux policiers, 70 jours pour le prévenu

On apprend également que le prévenu a eu 70 jours d’ITT et que s’il s’est alimenté avec une paille pendant plusieurs semaines c’est parce qu’il a eu la mâchoire fracturée. « 3 et 5 jours d’ITT pour deux policiers, 70 jours d’ITT pour lui. Dans un dossier sans policiers, on n’aurait pas eu de classement sans suite. Je suis désolée d’avoir à le dire, mais c’est la vérité » plaidera maître Leray. A la barre, quand on demande au prévenu à quel moment il a vu le policier qu’il désigne comme coupable de violences illégitimes sur lui, pour la dernière fois, il affirme : « Quand il m’a mis un coup de poing, quand j’avais les menottes, au commissariat de police. D’ailleurs j’ai subi une opération du zygomate suite à ça. »

Des versions que tout oppose

Mais la fracture de la mâchoire n’est pas au centre des débats, non. Le centre des débats est occupé par la scène du contrôle et de l’interpellation, découpée en 4 phases par le rapport d’enquête supplémentaire. Les policiers qui sont intervenus en premier rapportent que le prévenu incitait à l’émeute ou au moins les en avait menacés. « Le bon gros cliché : ‘il ameute sur Facebook des gens de la cité’… Mais il n’a pas Facebook, et il n’a pas internet sur son téléphone, c’est établi avec certitude » assène la défense. Le tribunal confirme qu’en effet la question FB et internet est pliée. Par contre c’est ainsi que les policiers justifient l’usage de la bombe lacrymogène.

Un gazage dangereux, avec, de surcroît, un produit périmé

Usage problématique à plus d’un titre. D’abord, « le policier passe sa main dans l’habitacle de la voiture dont les autres fenêtres sont fermées. Monsieur X est gazé dans sa voiture. Et il n’y a pas eu de violences ?! Le parquet classe sans suite, tout va bien… », s’insurge la défense. Le président, lui, explique que la gravité et le nombre des brûlures (moitié du visage, yeux, gorge) dont le prévenu souffrait à la première audience, sont liées d’une part au gazage en lieu fermé (habitacle voiture), et d’autre part au fait que la bombe était « périmée » : « le produit est sorti à l’état liquide et non gazeux ». Le prévenu en a vomi à son arrivée à l’hôpital. Le tribunal rappelle comment les textes encadrent l’usage de cette arme.

« Le policier n’est plus formel, il déclare : ‘il me semble qu’il allait s’enfuir’ »

Les policiers invoquent la légitimité du recours à la gazeuse, alors que « le rapport du commissariat de Mâcon écrit qu’aucun élément concret dans le procès-verbal ne permet d’établir qu’il y avait des éléments dangereux pour les policiers » lit maître Leray. « Le policier n’est plus formel, il déclare : ‘il me semble qu’il allait s’enfuir’ » remarque le président. Suite au gazage, le prévenu est sorti en courant de son véhicule. « Je ne pouvais plus respirer. Il fallait que je respire. » Les outrages ont commencé à ce moment-là, soutient-il. Outrages constants, observera le vice-procureur. Monsieur X le reconnaît. Ce qui s’est passé ensuite n’est pas hyper clair. On retient que le prévenu courait pour s’éloigner. « J’avais peur. » Un second équipage est arrivé, lui a barré le passage, il est retourné sur le lieu du contrôle, il y a été interpellé. « Je me laisse interpeller, parce que je me dis, si ça s’arrête pas, on va aller jusqu’où ? »

« Ils lui cognent la tête sur le bitume »

A ce moment-là, des habitants sont témoins de la scène, ils ne connaissent pas le prévenu. Le président fait état de témoignages, comme : « ils lui cognent la tête sur le bitume ». Le président au prévenu : « Vous vous êtes fait taper la tête sur le bitume ? – Oui. – Vous ne l’avez pas dit. – J’étais encore bouleversé par ce que je venais de vivre. » Les caméras publiques ne marchaient pas ce soir-là. Des riverains ont filmé des bouts de l’interpellation avec leurs téléphones, et ils commentent. Le président lit : « … on voit rien, là… il est là ! il est là ! il l’étouffe, il est sur lui là… ils vont l’étouffer le mec… mais attend il s’est mis debout, il s’est mis sur lui… oh le mec il est vivant, là ?… » « On l’entend, on entend des râles », ajoute son avocate. « Les choses se sont clairement mal passées » dit le président.

Lecture du parquet – « il n’a pas supporté qu’on le contrôle »

Charles Prost, vice-procureur, parle d’« intolérance à la frustration ». « Il n’avait pas le document exigé, une attestation dérogatoire conforme au décret. Il n’a pas supporté qu’on le contrôle, lui. Sa plainte a été classée sans suite. Il est auteur (de violences, d’outrages, etc., ndla). Et ça donne un dossier volumineux au lieu d’une simple contravention. » Le magistrat fait le point sur ce que le prévenu reconnaît : les outrages et un coup porté à un des policiers, il conteste les autres violences et la rébellion. « Il a tout fait pour que ce contrôle légitime dégénère. Il a provoqué une course poursuite qui a engagé deux équipages. Il était très énervé à l’hôpital, il parlait de violences policières et ne cessait pas d’insulter les policiers. La messe est dite. » Le procureur parle du cannabis que le prévenu reconnaît consommer, « je pense que les stupéfiants ont un rôle, forcément néfaste. Il faut aider monsieur X. » Il requiert une peine de 6 mois de prison entièrement assortis d’un sursis probatoire de 2 ans. « Une peine pour que monsieur puisse se réinsérer. » Le prévenu pleure.

« Il a vu qu’il y avait une rature sur mon attestation, il a buggé dessus, c’était un prétexte »

Il n’est pas possible de relater tout ce qui a été dit à l’audience. Elle a duré quasiment trois heures et elle est complexe en raison de l’écart voire de la contradiction, entre les poursuites engagées et la position du prévenu, inchangée depuis bientôt 2 ans. Un policier, un seul, est la cause, dit-il, de ses brûlures mais aussi de sa fracture de la mâchoire : « Il a vu qu’il y avait une rature sur mon attestation, il a buggé dessus, c’était un prétexte. » Alors, bien sûr, l’avocat des policiers, Arnaud Bibard, rétablit l’ordre des choses tel que les poursuites du parquet le fixent : « Les fonctionnaires de police ont eu une attitude adaptée, monsieur X est prévenu et les autres sont victimes. Il n’est pas possible d’inverser les places. » L’avocat demande des dommages et intérêts pour les policiers.

Traumatisme crânien, fracture de la mâchoire, du majeur, un tympan perforé, etc.

Mais la défense tient bon : « Les violences principales n’ont pas eu lieu pendant le contrôle et l’interpellation. Il avait un traumatisme crânien, une fracture de la mâchoire, une fracture du majeur, un tympan perforé, des problèmes aux yeux, etc. Effectivement, il est victime. Il ne retourne pas la situation. Ce n’est pas quelqu’un qui essaie de se soustraire à ses responsabilités. Il n’est pas connu des services. Il n’est pas fier de cette soirée. Il a eu des torts et les a reconnus. » L’avocate répond au parquet sur la question de l’attestation et de l’heure de sortie (que le procureur avait interrogée : qui va s’acheter à manger après 21 heures ? « Les célibataires comme moi », répondit le prévenu) qu’il n’y avait pas de couvre-feu le 1er avril 2020 et qu’aucun décret n’interdisait d’actualiser la date.

« Attention, ce n’est pas le procès de la police en général »

Mathilde Leray estime que le tribunal pourrait entrer en voie de relaxe, ou au pire prononcer une dispense de peine. « Je ne veux pas faire une tribune, poursuit l’avocate. Attention, ce n’est pas le procès de la police en général, mais le comportement d’un policier, à ce moment-là, n’est pas digne d’un policier. Mon confrère montrait une double page dans la presse locale… Mais, lui (elle désigne son client), il a été contacté par combien de journalistes ? De « spécialistes dans les violences policières » ? Il ne s’en n’est pas saisi. Il est hors de question de le faire passer pour quelqu’un qui instrumentalise la justice, car il est victime. Il n’y a pas lieu de prononcer une quelconque peine à l’encontre de monsieur X. »

« C’est pas le fond, le problème. Le problème, c’est la forme »

Entretemps, le prévenu est allé passer 6 mois chez ses parents, « pour couper ». Et se soigner. Mais l’affaire occupe son esprit et encore son corps, et il a hâte de pouvoir « passer à autre chose ». Une fois revenu chez lui, il a suivi et réussi une formation professionnelle, il pourra retravailler sans problème, dit-il. D’un bout à l’autre il a tenu sa position. « C’est pas le fond, le problème. Le problème, c’est la forme. C’était une agression. Un policier n’a pas à se comporter comme ça » ajoute-t-il à la barre.  Les policiers que le tribunal du 6 avril 2020 voulait voir à l’audience ne sont pas venus.

Le tribunal met sa décision en délibéré au 11 mars prochain.

Florence Saint-Arroman

*https://montceau-news.com/faits_divers/600399-montceau-un-controle-de-police-se-passe-mal.html
https://montceau-news.com/faits_divers/658173-montceau-un-controle-de-police-se-passe-mal-3.html
https://montceau-news.com/faits_divers/677061-tribunal-101.html

 

 


 



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