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mardi 23 septembre 2025 à 05:45

Narcotrafic 

L’enquête sur un gros point de deal au Creusot débouche sur de nombreuses ramifications



 

 

Le procès de 18 personnes impliquées dans un trafic de drogues, s’ouvre sur une certitude : dans ce dossier comme dans tant d’autres en matière de stupéfiants, c’est « un renseignement anonyme » qui a lancé l’enquête. On l’a déjà écrit : dans ce milieu si prolixe en menaces et en actions violentes, le premier danger, c’est la balance.

En août 2022, « on » dénonce auprès du commissariat du Creusot, l’existence d’un trafic de stupéfiants dans deux parcs de la commune. « On » donne même l’immatriculation d’une voiture. Elle appartient à une femme, mais « on » a décrit un homme qui est souvent au volant de ce C3, il est « très grand et très mince » et aurait un rôle de chef sur les revendeurs de ces points de deal. L’homme en question, Aimir X, âgé de seulement 24 ans, sera rapidement identifié. Il n’est pas à l’audience, il fait l’objet d’un mandat de recherche, il serait à l’étranger.

Le dossier est transmis à la PJ de Dijon. Une enquête préliminaire commence. Le fameux C3 est surveillé, pris en filature. Fin août il s’arrête à Châtenoy-le-Royal, au domicile d’une famille dont deux des membres ont été arrêtés dans cette affaire. L’un comparaît détenu, il est dans le box, sous la garde cagoulée et armée des ERIS. Son frère plus jeune a été placé sous contrôle judiciaire après un temps de détention provisoire.

Un écheveau prend forme petit à petit

A partir de là les enquêteurs commencent à repérer les acteurs de ce trafic, à recenser les sacs transportés, les lieux visités. On exploite les fadettes*, pour savoir qui est appelé ou appelle régulièrement, susceptible d’être rattaché au trafic. Des noms émergent et « les investigations d’environnement se poursuivent » dit la présidente qui expose les éléments. La juge a choisi d’exposer le contenu de l’enquête progressivement et d’y confronter des prévenus, au fur et à mesure.

Le prévenu principal

A noter que Mohamed Ali X., prévenu principal dans ce dossier, qui a gardé le silence pendant le temps de l’instruction, dit, ce lundi 22 septembre, qu’il acceptera de répondre aux questions. En tenant compte toutefois du fait qu’il n’a pas pu lire le dossier (il est détenu loin d’ici, dans le centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil) et que « ça remonte à trois ans », sa mémoire risque de lui faire défaut. Toutefois sa position est la suivante : il endosse des responsabilités et essaie de décharger certains coprévenus.

Remise d’objets interdits à détenu

Son nom à lui est inscrit dans le tableau après qu’on a fixé quelques autres noms et exploré leurs situations. Une femme, Kathleen X, a participé au premier convoi surveillé, de Brest à Châtenoy. Elle n’a pas de casier judiciaire mais le fichier TAJ* dit qu’elle a participé à une remise d’objets interdits, en février 2022, avec Yamin X et Ayoub X, des objets projetés dans la cour ou vers le terrain de sport de la maison d’arrêt de Besançon où étaient détenus Yazid, frère de Yamin, et Mohamed Ali X.

Arme, argent et drogue

La présidente poursuit son exposé. En septembre 2022, un homme est interpellé en flagrance après une transaction dans le parc de la Verrerie, au Creusot. Il avait loué un logement airbnb dans lequel on a trouvé : 2 669 grammes d’héroïne, environ 200 grammes de cocaïne, 487 grammes de cannabis, un pistolet automatique chargé, et près de 10 000 euros en numéraire. Le propriétaire du logement identifie en outre formellement Aimir X qui venait souvent, avec son chien.

De l’ADN

Le 12 octobre, la police l’identifie aussi, comme passager d’un véhicule dont le conducteur est interpellé. Aimir, lui, a pris la fuite mais laisse dans son sillage des casseroles contenant de la cocaïne et sur les manches desquelles se trouve son ADN et celui de Riad X, 26 ans (qui est à l’audience, sur le banc des prévenus placés sous contrôle judiciaire).

Et ça borne

Les relevés des déplacements des véhicules et de leurs chauffeurs identifiés s’amoncellent. L’un des conducteurs sème des signaux : il est sous bracelet électronique. Une information judiciaire est ouverte. Les enquêteurs tracent les véhicules et les sonorisent. On peut donc les géocaliser et entendre ce qui est dit dans l’habitacle.

Des voyages éclairs un peu partout

Avec tout ça les éléments à charge ne manquent pas. Le tribunal insiste sur « la régularité et la fréquence » des voyages faits de nuits, des allers-retours parfois loin mais des arrêts, une fois à destination, de « 7 mn », « 30 mn », « 3 mn ».
Les véhicules sont souvent deux : une voiture dite « porteuse » (de produits stupéfiants) et une voiture d’escorte dont le conducteur ou la conductrice doit s’assurer qu’il n’y a ni douaniers ni forces de l’ordre aux péages, par exemple.

Se servir des autres, être servi par les autres

Et puis on accède doucement au « donneur d’ordre ». Celui qui dispense les instructions, toutes les instructions, à ceux dont il dit se servir. « C’était surtout pour les projections que je me servais de lui », dit Mohamed Ali X en parlant de celui qui est à la barre et qui veut convaincre le tribunal qu’il n’était quasiment rien dans ce trafic. « Des petites mains comme moi, y en a des milliers. »

Confrontations en public

Le tribunal confronte deux jeunes femmes, Emma X et Kenza X aux éléments du dossier et aussi à leurs déclarations en audition et devant le magistrat instructeur, parce qu’à la barre, elles ne savent plus rien. Il faut dire que le public ne manque pas et qu’un des prévenus dans le box allonge son cou pour passer l’oreille dans l’ouverture de la vitre, afin d’entendre mieux ce qui est dit.

« Je garde le silence »

Du coup, il n’est pas dit grand-chose. « J’ai peut-être effectué des trajets, en effet, mais à ma connaissance pas pour transporter des stups. J’ai fait des trajets pour sortir » dit l’une. « Je garde le silence » répète l’autre à chaque question. La présidente lui demande pourquoi, alors qu’au cours de ses trois auditions et aussi devant le juge d’instruction, elle a dit des choses, en particulier sur son compagnon d’alors, Aimir X, et aussi sur une cave qui servait de lieu de stockage d’armes et de drogue, rue Philibert Guide à Chalon-sur-Saône (pas loin du commissariat de police :)) – pourquoi après une telle constance vient-elle se dédire ?

« Aujourd’hui vous subissez des pressions ? »

« Ben j’avais des pressions, à l’époque, dit la jeune femme.
– Et aujourd’hui, vous subissez des pressions ? questionne la présidente.
Un long silence de plusieurs secondes… puis : « non ».

Un point de vente qui rapportait gros

Le tribunal évoque encore les témoignages de deux vendeurs, des charbonneurs comme on les appelle, au Creusot. Les deux disent avoir été recrutés par un certain « Raoult » (sic), contactés via la messagerie Signal. Ils disent encore qu’Aymir X était chargé de la gestion des vendeurs et aussi du stock de produits (héroïne, cocaïne et cannabis), et qu’il était lui-même sous les ordres d’un homme surnommé « Dozo ».

Un des vendeurs précise que le point de vente mobile (puisque les transactions se faisaient dans deux parcs du Creusot) rapportait jusqu’à « 7 000 euros par jour en début de mois », un peu moins ensuite, mais ça faisait quand même « 150 000 euros par mois ».

« Il peut faire pire, ta mère, il la rend handicapée, ton père, pareil »

Le tableau ne serait pas complet s’il n’y pointait pas la violence. Elle apparaît à l’audience au travers de menaces. La présidente cite un extrait d’une conversation tenue en mai 2023, dans la voiture sonorisée de Kathleen X. Celle-ci craignait qu’Emma X ne parle, aussi elle l’avait menacée de s’en prendre à elle et à sa famille si jamais… et, parlant du donneur d’ordre : « Il peut faire pire, ta mère, il la rend handicapée, ton père, pareil ».
Est-ce qu’Emma s’en souvient ? « Non. »

Et puis, un jour, la cellule de Mohamed Ali X, incarcéré à Besançon, est sonorisée. Les propos qu’il tient, par téléphone, vont donner pas mal d’informations sur l’importation de drogue, sur son rôle à lui, de chef. Ces informations vont également éclairer la structure du réseau.
Comme on l’a écrit : beaucoup d’éléments à charge, grâce à une longue enquête et les moyens afférents.

FSA

*Fadettes : Fadette est un mot-valise (entré dans le dictionnaire) constitué à partir des termes « factures détaillées ». Il s’agit donc des relevés des appels de particuliers transmis par les opérateurs de téléphonie. La fadette détaille la liste des communications passées ou des SMS émis et reçus depuis un téléphone mobile, mais aussi les dates précises et les durées d’échange.
*Le fichier TAJ, pour « traitement des antécédents judiciaires », recense notamment les personnes mises en cause et les victimes dans les affaires pénales.

 

1er article : https://montceau-news.com/faits_divers/849764-tribunal-de-chalon-356.html

 

 

 



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