Tribunal de Chalon – Narcotrafic
Casseurs flotteurs, mission gui et lieu de coupe de l’héroïne
Le principal prévenu au procès pour trafic de stupéfiants confirme sa position, ce mardi 23 septembre : il reconnaît avoir dirigé, de sa cellule, un trafic de cannabis, héroïne et cocaïne, avec, par conséquent ses lots de numéraire à 6 chiffres, et de toute une logistique.
Vu les écoutes de ses conversations à partir de mai 2023, tenues, « H25 » ironisait-il hier, à la maison d’arrêt de Besançon, Mohamed Ali X n’est de toute façon pas en mesure de contester. « Vous ne saviez pas que votre cellule était insonorisée » lui dit la présidente. « Si je l’avais su, je ne serais pas là » répond logiquement le prévenu.
Il reconnaît ses responsabilités et tâche d’alléger celles qui peuvent peser sur les épaules des autres. « C’est des casseurs flotteurs. » Peut-être que tout le monde connaît la référence, nous on ne la connaissait pas. Casseurs flotteurs, c’est le nom que s’étaient attribué, dans le film Maman j’ai raté l’avion, les deux désastreux cambrioleurs. Sous une orthographe un peu différente, c’est aussi le nom d’un groupe de rap formé par Orelsan et Gringe : Les casseurs flowters (qu’on découvre aussi par la même occasion).
Plus tard dans la journée il parlera de « bras cassés ». On oscille entre deux bords. D’un côté une moyenne d’âge assez basse, chez les prévenus comme dans le public. La fragmentation des tâches permettait aux uns et aux autres de « toucher des billets » sans avoir une vue d’ensemble sur le trafic. Des gens dont certains sont très jeunes, c’est frappant. L’échec de la « mission gui » (orth incertaine) que la présidente a abordé en fin d’après-midi est imputable à une forme d’amateurisme (et c’est tant mieux).
Fausses plaques, kalashnikov, cagoules
Pour autant, cette mission qui se voulait commando pour finir par faire flop, avait pour objectif de voler des produits stupéfiants à de la concurrence. D’abord tracer le véhicule du fournisseur (en plaçant une balise dessous) puis suivre les instructions délivrées, toujours de la maison d’arrêt, par Mohamed Ali X. L’opération nécessitait des voitures faussement plaquées, des cagoules (la vidéosurveillance d’un magasin de sport montrera deux des prévenus en train de payer leurs emplettes en liquide), des téléphones dédiés, et une arme (de guerre).
Ce bord-là n’a rien de sympathique, ce sont les méthodes du milieu, comme on dit, même si en l’occurrence il n’y a pas dans ce dossier, pour ce qu’en disent les préventions, de violences avérées.
La présidente distille les éléments de l’enquête, on a du mal à ramasser le tout dans une synthèse, et l’audience est plutôt morne.
Toulon-sur-Arroux : le logement d’un toxicomane devient le lieu de préparation de l’héroïne
La présidente ce matin interrogeait Samir X, 24 ans, qui comparaît détenu. Le jeune homme avait entrepris de faire des études. Un BTS en poche, il s’inscrit en école de commerce, à Lyon. Il est impliqué à plusieurs occasions dans ce trafic mais il répète : « Moi, ma limite, c’était l’argent, y a eu que de l’argent. » Déjà condamné pour trafic, il affirme qu’il ne voulait à aucun prix remettre ce couvert-là, sauf que : on l’a arrêté à Toulon-sur-Arroux, « dans un atelier de coupe* ».
3 kg d’héroïne et 14.8 kg de produit de coupe
« Oui, c’est moi qui l’ai envoyé là-bas, dit Mohamed Ali X. J’ai demandé à Samir d’aller à l’appartement. Je lui ai donné les dosages, et je lui ai demandé de regarder, de surveiller, parce que je ne connais pas ce monsieur qui occupe l’appartement. C’est une tierce personne qui l’avait trouvé. Lui (Anthony X, 36 ans), il est consommateur, ils ont lui promettre quelques grammes d’héroïne.
– Monsieur Anthony X ne fait pas tout à fait le même récit, dit la présidente. Mais, en résumé, on se méfie d’un toxicomane qu’on ne connaît pas.
– J’aurais limite plus confiance en lui qu’en des gens qui ne consomment pas. Ils m’ont un peu déçu, certains. »
L’audience de ce mardi ne dit pas en quoi les déclarations du locataire sont différentes, ni si le rôle de Samir X se cantonnait à « regarder ».
Il manquait du matériel pour traiter l’héroïne. Ce sont les allées et venues à ce logement qui ont mis les enquêteurs sur le rail. Ils y ont trouvé un cric 13 tonnes, un cadre de presse, un moule en métal, des tamis, des mélangeurs, des gants, et 3 kg d’héroïne avec 14.8 kg de produit de coupe.
Se faire péter/se la péter
Une opération d’interpellations a lieu le 13 octobre 2023. Ce jour-là la plupart d’entre eux sont arrêtés. En termes argotiques : ils se sont fait péter.
Leur chef (parce que bon, il peut dire ce qu’il veut, il est trahi par sa façon de parler : « c’est mon argent », par exemple alors qu’il n’est pas à l’œuvre autrement que pour donner des ordres), a beaucoup dit aujourd’hui qu’il ne faut pas prendre tout ce qu’il pouvait dire, de sa cellule, aux uns et aux autres, pour argent comptant, parce que « j’aime bien me vanter », « c’est du blabla ».
En résumé : il se la pète et pour finir il s’est fait péter lui aussi.
Son « rin-té » du Creusot et tout cet argent
Chef aussi lorsqu’il évoque son « rin-té » du Creusot : il a un terrain au Creusot. C’est une manière imagée de désigner les parcs, mais c’est une manière bien possessive.
Dans un enregistrement en date du 1er septembre 2023, on entend cet homme – qui n’a pas 30 ans -, dire qu’il était en prison depuis 4 ans et que « ça travaille encore pour moi ».
Sur la question de l’argent : tous les jours, la recette du « rin-té » du Creusot était récupérée, comptée, puis transportée à Chalon-sur-Saône. Où ? Chez qui ? Le rôle dit que Fawzi X, 24 ans, doit répondre de blanchiment (aide à la justification mensongère de l’origine des biens), commis à Saint-Cyr les Colons, à Le Creusot, en Saône-et-Loire et en Côte d’Or. Idem pour Yazid X (au Creusot). Idem pour Ryan X, 22 ans : son ADN se trouvait sur un sac contenant environ 100 000 euros, saisi lors d’un contrôle douanier de Fawzi X.
Voilà ce qu’on a choisi d’extraire de l’audience d’aujourd’hui, difficile à suivre en raison du nombre de prévenus, de la parcimonie avec laquelle les éléments d’enquête sont dévoilés (il y aurait un trafic en Tunisie, il y aurait de l’importation de drogue, mais ce n’est pas bien clair, du moins de la façon dont c’est évoqué) et de ce qui caractérise ces affaires-là : chacun dit soit n’importe quoi, soit ne dit rien. Et quand il arrive qu’un propos soit sincère, il est difficile à identifier dans une telle ambiance.
Les quinze avocats qui plaideront en principe après-demain (sous réserve du déroulé de l’audience) s’attacheront à préciser ce qu’il en est pour chacun.
FSA
*https://www.ofdt.fr/glossaire/produit-de-coupe